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la spoliation et l'assassinat de tous les chrétiens, des giaours, des infidèles.

M. François DELONCLE.

On ne peut pas laisser dire à la tribune fran

çaise que le massacre des chrétiens soit la loi de l'Islam.

M. Georges BERRY. - Mon cher collègue, je vous demande pardon. Vous savez bien qu'il n'y a pour le Turc qu'une loi, la loi religieuse, qui commande de piller, de voler, et d'assassiner les chrétiens.

M. François Deloncle. C'est une erreur. Vous n'avez jamais lu le Coran.

M. Georges BERRY. Je ne parle pas du Coran, mais de la tradition musulmane. D'ailleurs, vous n'avez qu'à vous souvenir de ce qui s'est passé depuis 1856, et vous verrez combien ce que je dis est vrai. Vous verrez si la Turquie n'a pas marqué toutes les pages de son histoire par des traces de sang.

En 1860, le Liban et l'Antiliban nagent dans le sang; en 1862, vient le tour de la Serbie; en 1876, la Bulgarie, l'Herzégovine, deviennent le théâtre des massacres qui, en 1896, déciment l'Arménie, et, en 1897, l'île de Crète.

Vous voyez bien que l'histoire de la Turquie est marquée à chaque page par le sang des chrétiens maintenus malgré eux sous sa domination.

Tous les peuples martyrisés ont obtenu tour à tour satisfaction et ont conquis leur autonomie, seule l'Arménie est restée sous la domination du reclus d'Yildiz-Kiosk, sans avoir obtenu la moindre satisfaction et, après avoir subi cependant plus de vexations que toutes les autres nations de la péninsule des Balkans.

Est-ce que par hasard la Commission envoyée par l'Europe en Arménie aurait reconnu que les massacres dont je parle sont de pure invention ? Cependant les rapports de nos Consuls sont à ce sujet en accord parfait; ils sont unanimes à déclarer que jamais pays n'a été plus ensanglanté que l'Arménie.

Pourquoi alors n'avez-vous pas exigé l'exécution des réformes que vous aviez obtenues en faveur des victimes?

Je ne peux pas séparer l'Arménie de la Macédoine; ces deux pays se tiennent, car si les autres nations ont obtenu satisfaction, celles-là ont été négligées.

Et, puisque la question arménienne n'est toujours pas liquidée, j'ai encore le droit de vous rappeler ce qui s'est passé en 1896. Je prends les rapports officiels de vos Consuls: M. le Ministre des Affaires étrangères, M. Meyrier, consul à Diarbekir, écrit à M. Cambon, votre ambassadeur à Constantinople. « Après trois jours de massacres... »

M. DELCASSÉ, Ministre des Affaires étrangères.

Il y a six ans.

M. Georges BERRY. C'est parce qu'il y a six ans et que vous n'avez rien fait depuis six ans, que je vous demande des explications à ce sujet. « Après trois jours de massacres, après avoir tué plus de 3.000 chrẻtiens, après leur avoir pris tout ce qu'ils possédaient, on pouvait espérer que le Gouvernement leur accorderait un semblant de protection. Il n'en à rien été. Ils ont été traqués après comme avant, pendant quarante-six jours; la terreur régnait dans la ville. C'est grâce à vous que le désastre n'a pas été complet. »

Rappelant ensuite que des officiers, des soldats, sont venus s'emparer du consulat, M. Meyrier ajoute: « A peine arrivés dans le consulat, l'officier et ses hommes se mettent à couper les cheveux des réfugiés et à leur voler leurs coiffures de sequins. Chaque nuit le tumulte s'apaise; chaque matin, le muezzin redonne le signal; on mène les femmes à l'abattoir, on les saigne comme des veaux; on fait asseoir les hommes ligottés, et sur leurs genoux on met leurs enfants en tranches....... »

Je ne veux pas insister sur d'autres rapports qui sont aussi édifiants que ceux dont je viens de donner lecture. Je ne veux pas vous lire le récit concernant les massacres d'Orfa où on poursuivit jusque dans une église les femmes, les enfants et vieillards qui se sauvaient devant les troupes turques. On commença à faire usage des fusils; mais bientôt, trouvant que l'œuvre de mort n'allait pas assez vite, les assassins enduisirent de pétrole les murs de l'église et brûlèrent ceux qui s'y étaient réfugiés.

Ces atrocités nécessitaient des réformes sérieuses. L'Europe s'en occupa, mais de quelle façon ? Elle n'envoya ni le plus petit marin, ni le moindre plénipotentiaire. Une conférence fut organisée et un programme de réformes fut rédigé, programme qui fut accepté, comme toujours, par la Turquie, car les promesses ne gênent jamais le grand Turc, il est bien résolu à n'en pas tenir compte. Mais l'Europe, facile à convaincre, s'est contentée de la promesse el elle attend toujours l'exécution des réformes. Vous me direz peut-être, Monsieur le Ministre, que l'action de l'Europe a suffi pour rétablir le calme en Arménie et qu'il n'y a rien à exiger de plus.

Si, depuis, l'Arménie avait recouvré la paix, vous auriez peut-être raison. Mais j'ai là des lettres qui prouvent qu'à l'heure actuelle, les Kurdes continuent leurs exactions, leurs poursuites, leurs pillages, leurs vols, leurs assassinats. L'Europe s'en inquiète d'ailleurs fort peu; il semble que ces crimes la laissent indifférente. La Macédoine ouvre un nouveau champ à son activité; quant à l'Arménie, on n'en parle plus, on la laisse de côté.

Je vous demande et c'est une des premières questions que j'ai l'honneur de vous poser, Monsieur le Ministre des Affaires étrangères pourquoi avez-vous oublié l'Arménie, pourquoi n'y pensez-vous plus ? Vous devez connaître les faits dont je parle, car vous avez là-bas des consuls de haute valeur qui ont été les premiers à la peine et qui sont encore tout décidés à continuer l'œuvre qu'ils ont commencée il y a six ans. Comment se fait-il que, mieux renseigné que nous, vous paraissiez ignorer ce qui se passe en Arménie. Pourquoi n'insistez-vous plus auprès du sultan pour l'exécution des réformes qu'il semble avoir oubliées, réformes promises en 1880, promises à nouveau en 1882, repromises encore en 1896, et dont personne ne se soucie en 1903?

Je me suis arrêté quelques instants à l'Arménie, parce que je ne peux pas la séparer de la Macédoine, parce que toutes les deux ont été visées dans le traité de Berlin, dont les articles 23 et 61 ont prévu les réformes qui devaient leur être appliquées, mais qu'a conservé dans ses cartons le reclus de Yildiz-Kiosk.

Il y a encore bien d'autres points de ressemblance entre la Macédoine et l'Arménie.

L'Arménie a comme voisins des brigands montagnards, les Kurdes. Ils venaient autrefois et viennent encore exiger les impôts auxquels ils astreignent les Arméniens; ils ne s'en vont que lorsqu'ils leur ont pris le plus clair de leurs réserves et de leurs produits. Le sultan, par une atten

tion délicate, les a transformés en gendarmes. Il a créé ce qu'on appelle le régiment de Hamidjé de son nom de Abdul-Hamid. Il a dit: Les Arméniens se plaignent des Kurdes? Eh bien, des Kurdes, nous allons faire des gendarmes. Et les Kurdes gendarmes ont touché, comme subvention, ce qu'ils touchaient autrefois comme rançon.

Le même état de choses se présente en Macédoine. Près de la Macédoine vivent les Albanais. Comme les Kurdes, les Albanais forment un peuple nomade qui cherche sa nourriture ailleurs que chez lui; il va surtout enlever, chez les Macédoniens et dans la vieille Serbie, ce dont il a besoin.

Eh bien, le Sultan a fait des Albanais, comme des Kurdes, les gendarmes de la Macédoine, chargés de toucher les impôts et de mettre l'ordre dans ce pays. Cette attention du sultan est tout à fait délicate.

Depuis plusieurs années, les Macédoniens ont fait entendre des plaintes réservées; ils ont rappelé l'inexécution des réformes promises en 1880. Ne recevant aucune réponse à leurs protestations, ils ont créé des comités, sous l'impulsion de Zarafof et Michaïlowski, qui ont tenté de réunir les résistances autour d'eux. Dès que ces résistances se sont produites, la diplomatie européenne a pensé qu'il était temps de rechercher s'il ne serait pas possible d'agir et d'arrêter ce mouvement. Peu importe ce que font les Turcs, peu importe s'ils volent et pillent les Macédoniens, mais du jour où ceux-ci essayent de résister, où les comités entreprennent la lutte, il faut entraver leur action, empêcher tout conflit d'éclater.

le

C'est alors que vous êtes intervenu. Je dis « vous », Monsieur le Ministre, car je dois reconnaître que vous avez été un des promoteurs Livre jaune nous l'a appris de cette campagne qui a amené la Russie et l'Autriche à s'occuper de la question macédonienne. En effet, vous avez écrit à vos ambassadeurs et à vos consuls et vous avez essayé d'obtenir des satisfactions que nous attendons toujours; mais enfin vous avez fait un essai, et je dois avouer qu'aucun essai de ce genre n'a été tenté par votre prédécesseur.

Sur ce point, vous avez droit à nos éloges; mais vous n'avez pas été assez loin, vous vous êtes arrêté en chemin. Les puissances que vous avez mises en mouvement, qui ont suivi votre impulsion, ont été ingrates vis-àvis de vous; vous avez été laissé dans l'ombre, et les ambassadeurs qui ont réclamé des réformes à la Turquie, vous ont exclu d'une façon que vous avez acceptée avec trop de résignation.

Je n'insiste pas sur cette remarque à laquelle vous répondrez certainement avec le talent que vous apportez toujours à cette tribune.

M. DELCASSÉ, Ministre des Affaires étrangères.

teur.

Vous êtes trop flat

M. Georges BERRY. Je reviens aux démarches austro-russes. Nous voyons d'abord entrer en lice le ministre russe, M. Lamsdorf, qui, d'accord avec l'ambassadeur d'Autriche, présente quelques timides observateurs au sultan.

Immédiatement celui-ci rédige un iradé dans lequel il préconise luimême des réformes pour les vilayets de Macédoine et lorsque les ambassadeurs étrangers se présentent, il leur répond: c'est fini. Tout est bien, n'en parlons plus, mon iradé suffit, tout le monde est content.

Comme vous prenez soin, Monsieur le Ministre, de demander à vos consuls si véritablement tout le monde est content, on vous répond qu'il n'en est rien, et, à la date du 15 décembre, M. Bapst, chargé d'affaires de

France à Constantinople vous écrit que partout et d'une manière générale, les fonctionnaires turcs affectent de croire que les instructions du sultan ont réglé les affaires de Macédoine, mais, dit-il, d'après les renseignements que je reçois et qui concordent avec ceux des autres ambassadeurs, jamais les exactions et les brutalités n'ont été plus nombreuses de la part de la gendarmerie. Des colonnes volantes sillonnent le pays pour rechercher les armes et les saisir. Pendant les perquisitions, elles sont logées chez l'habitant et profitent de cette circonstance pour dévaliser celui-ci.

« L'ambassadeur de Russie, ajoute M. Bapst, m'a entretenu de ce redoublement de persécutions contre les populations macédoniennes. Il constate que les violences des Turcs affolent les populations macédoniennes qui émigrent en foule dans la principauté de Bulgarie. Si d'ici peu le calme et la sécurité ne sont pas rétablis, on ne saurait prévoir ce qui peut advenir. >>

Et voilà comment l'iradé du Sultan a donné satisfaction à la Macédoine. Devant le mécontentement grandissant des Macédoniens, l'Europe représentée par la Russie et l'Autriche soumet au maître de la Turquie un projet de réformes copiées textuellement dans l'iradé dont je parle. Et on s'imagine arrêter ainsi le mouvement macédonien.

Quant à moi, je ne le crois pas. En effet, quels sont les griefs qui ont été invoqués, je ne dirai pas une fois, mais vingt fois, par les protestataires de Macédoine auprès du reclus d'Yildiz-Kiosk ? J'en ai le texte et voici les quatre points sur lesquels la population appelait l'attention du sultan.

Vous savez que des spéculateurs afferment les dîmes de Macédoine ; cela se passe aussi en Arménie, d'ailleurs. Le dimier ayant tout un vilayet comme ferme, passe quand il lui plaît devant les produits du cultivateur ; peu lui importe si la saison est pluvieuse, si la moisson doit être perdue; il est défendu au producteur d'enlever sa moisson avant que le dîmier ait pris sa part, et il la prend comme il lui convient; plus il a payé, plus il veut d'argent. Cela se passait ainsi chez nous il y a plus de cent ans et l'histoire nous a rapporté ce que faisaient chez nous les hommes qui achetaient la ferme des impôts.

Donc, quand le dîmier passe, le malheureux cultivateur est obligé de lui payer sans contrôle, sans appel, deux, trois ou quatre fois la dîme.

Un second point relevé dans les protestations concerne la gendarmerie. Celle-ci est chargée de lever les impôts; les gendarmes s'installent à cet effet 8 ou 15 jours chez l'habitant et comme ils sont peu payés ou pas du tout, ils vivent sur l'habitant, et prennent souvent sans reçu deux ou trois fois l'impôt qu'ils devaient toucher et avec cela il leur faut bon souper, bon gîte et le reste. Cela dure deux et trois semaines et ils s'en vont ailleurs.

Enfin il y a les fonctionnaires. Ah! les fonctionnaires! ils ne sont pas plus payés que les gendarmes et il faut bien qu'ils vivent ils cherchent alors des procédés pour faire payer le plus possible les malheureux contribuables. Je ne veux pas passer en revue tous ces procédés, mais je veux retenir le suivant qui est appelé classique. On fait afficher dans la nuit un placard révolutionnaire et le matin les notables du village sont arrêtés, et ils ne sont mis en liberté que moyennant une rançon qui est partagée entre les fonctionnaires.

Enfin il y a les Albanais, la plaie de la Macédoine, comme les Kurdes sont la plaie de l'Arménie. Les chefs albanais lèvent eux aussi leurs impôts ; ils taxent le paysan au commencement de l'hiver, et à la Saint-Jean

d'automne ils descendent avec trente ou quarante hommes, s'installent chez le paysan et lui prennent le plus clair de son revenu; bien heureux encore quand ils ne lui enlèvent pas en s'en allant, sa femme et sa fille pour les mettre dans le harem du chef albanais; s'il résiste, c'est l'incendie qui a raison de lui.

J'ajoute que quand les Albanais se retirent, ils exigent de celui dont ils ont pillé la maison, de payer encore « l'usure de la mâchoire », il faut que ce malheureux paye pour la peine qu'ont pris les Albanais à dévorer son bien.

Telles sont les protestations adressées sans relâche au sultan.

M. LE MINISTRE dĘS AFFAIRES ÉTRANGÈRES. Eh bien ?

M. Georges BERRY. Eh bien! Quelles sont les réformes que vous nous apportez, ou plutôt qu'apportent l'Autriche et la Russie et auxquelles vous avez adhéré ?

Les fonctionnaires ne sont pas payés, et c'est parce qu'ils ne sont pas payés qu'ils volent les contribuables. Allez-vous les payer, d'après votre projet de réforme? Pas du tout; le projet parle du mode de payement, mais quant au payement, personne ne nous le garantit. Ah! vous pouvez changer le mode de payement autant que vous voudrez, du moment que vous ne payerez pas les fonctionnaires, ils agiront toujours comme par le passé.

Allez-vous changer la gendarmerie ? Ah oui ! il est question de nommer des officiers allemands; les officiers supérieurs sont déjà désignés, on va essayer de réorganiser la gendarmerie; mais on ne changera pas le recrutement; les gendarmes seront les mêmes; les Albanais, parmi lesquels on les recrute, seront toujours des Albanais, et ce n'est pas parce que l'organisation sera changée que vous aurez une satisfaction quelconque.

Quant à la question de la dîme, sur laquelle on a appelé toute l'attention des Gouvernements, la dîme est affermée, et c'est de la ferme d'où vient tout le mal; parce que ceux qui ont affermé veulent tirer le plus possible du malheureux contribuable. Vous proposez de supprimer le fermage en gros. Mais ceux qui veulent affermer les dîmes les affermeront en détail, et rien ne sera changé : que la dîme soit affermée en détail ou affermée en gros, ce sera toujours la même chose, et dans ces conditions vous n'aurez rien changé du tout.

Reste, enfin, messieurs, la question la plus importante.

Vous laissez les Albanais armés en présence des Macédoniens désarmés, comme vous avez laissé les Kurdes armés devant les Arméniens désarmés; vous n'exigez pas le désarmement des Albanais qui, alors, continueront à rançonner, à piller, à voler, à incendier les Macédoniens comme par le passé.

Il est donc impossible de soutenir que l'Europe apporte des réformes sérieuses à la situation dans laquelle se trouvent les Macédoniens.

Mais, alors même que vos réformes auraient une valeur, vous savez bien qu'elles ne seront jamais appliquées. Le passé devrait à cet égard répondre de l'avenir.

Vous n'êtes pas sans expérience à ce sujet. Vous savez comment, en 1876, en 1880, en 1896, en 1897, vous avez été leurrés par le sultan. Vous savez que vous n'avez jamais rien pu obtenir de lui, toutes ses promesses étant restées lettres mortes. Le sultan a promis; il a même promis plus qu'on ne lui demandait; mais il n'a jamais tenu ses promesses, et ce sera

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