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nous indique qu'il y a quelque chose de plus important à changer: c'est le système même de la dîme, ou plutôt il faudrait supprimer la dîme ellemême. Elle est établie dans un pays où il n'y a pas de cadastre, et la perception en est faite avec une irrégularité extraordinaire en ce qui touche le taux et aussi l'époque où on doit payer les impôts.

Si le collecteur vient en avril où en mai, à un moment où le paysan n'a pas le moyen de payer la dîme, le malheureux contribuable est forcé de vendre son blé sur pied. La réforme urgente, réclamée par tous les hommes compétents, c'est la commutation de la dîme en un impôt foncier. Vous n'aurez rien fait tant que vous n'aurez pas fait cela.

Je pourrais, messieurs, poursuivre à l'infini l'examen des détails et la critique du projet. Mais je m'arrête, parce que j'ai des faits plus importants à signaler et des fautes plus graves commises à la face de l'Europe et qui sont autant d'outrages à la conscience du monde civilisé. Nous nous imaginions qu'il y avait une province de Turquie qui avait acquis assez chèrement le droit de priorité et la mise à l'ordre du jour de la diplomatie européenne c'est l'Arménie dont le martyr n'a pourtant pas cessé, qui, après les massacres et saignée à blanc, est encore en proie aux mêmes souffrances. Vous l'avez éliminée des négociations actuelles. Et vous ne voyez pas, et l'Europe ne voit pas que c'est un outrage à sa propre conscience! C est un triomphe bien doux, assurément, qu'on a assuré là au sultan. Que recherche-t-il depuis sept ans ? Qu'a-t-il obtenu maintenant ? Il a lassé notre patience, il n'a pas opposé des refus aux demandes des puissances; il a multiplié les belles paroles, il nous a promenés de promesses en promesses, de pseudo-iradés en pseudo-iradés.

Actuellement, nous cessons de lui parler de cette affaire; nous lui disons : « Il y a un moment où devant ce crime la conscience du monde civilisé s'était réveillée. Ce moment est passé. Alors nous vous avions demandé des comptes; nous vous avions mis en demeure ce qui était notre droit depuis longtemps, ce qui était notre devoir depuis les vêpres arméniennes d'appliquer immédiatement dans son esprit et dans sa lettre l'article 61 du traité de Berlin; eh bien! vous avez vaincu; nous n'en parlerons plus.

Nous avions cette toile sur le métier, nous l'ôtons. Et nous allons nous livrer à je ne sais quel travail de Pénélope en défaisant avec le sultan pendant le jour ce que nous aurons essayé de faire pendant la nuit.

Voilà ce qui se passe à l'heure actuelle. Voilà le fruit de tant de déclamations, de témoignages de sympathie, d'effusions larmoyantes! L'Arménie n'est plus à l'ordre du jour !

Ce qui rend plus intolérable ce résultat, messieurs, c'est que c'est la première fois depuis un siècle, après des événements de ce genre la Turqui n'a pas un châtiment à subir de l'humanité, à titre de compensation, un profil à recueillir.

Oui, messieurs, après des événements assurément moins graves que ceux d'Arménie après qu'il avait coulé infiniment moins de sang, l'Europe avait toujours obtenu quelque avantage, arraché quelque projet pour les nationalités opprimées de l'empire ottoman.

Quand l'insurrection de la Grèce s'est produite, il y a eu aussi d'innombrables massacres, et vous savez comment la conscience publique s'est révoltée et quelle expression incomparable elle a trouvée dans les voix des poètes Lamartine, Byron, Chateaubriand, Victor Hugo, Béranger et de tant d'autres écrivains français et étrangers. Cela n'a pas suffi; il a fallu,

messieurs, la diplomatie, oui, la diplomatie de la Sainte Alliance! la di'plomatie d'une Europe qui luttait parlout contre la Révolution envisagée comme l'esprit du mal, qui donnait mandat à la France d'aller l'écraser en Espagne; à l'Autriche, d'aller l'écraser en Italie; à la Russie d'aller l'écraser en Pologne, et partout. Eh bien! cette diplomatie de la légitimité et de la réaction, a été forcée par la conscience du monde civilisé à intervenir.

Après Navarin, après qu'on eut brûlé accident malheureux, disait Georges IV la flotte turque, on obtint la création d'un royaume grec. Ce fut un soulagement pour la conscience de l'Europe: ce fut le gage d'une ère nouvelle. En 1876, ce sont les atrocités bulgares qui servent de prélude à une émancipation. Elles étaient produites sur une échelle infiniment moins considérable que les massacres d'Arménie; 28 à 30.000 personnes avaient été assassinées par les soldats d'Abdul-Hamid et le cri d'indignation et d'horreur, l'appel éloquent de Gladstone retentit dans toute l'Europe. Quand la Russie eut terminé la guerre de 1877, encore qu'au congrès de Berlin on l'eût fait reculer et qu'on eût détruit une partie de son œuvre, on n'en a pas moins achevé l'émancipation d'un grand nombre d'anciens sujets ottomans. La Roumanie est définitivement libre, la Serbie est libre, la Bulgarie est créée, la Roumélie orientale a l'espoir, réalisé en six ans, de s'unir à la Bulgarie.

A l'heure actuelle, messieurs, alors que nous complons non pas par milliers, ni par dizaines de milliers, mais par centaines de milliers les cadavres et que les victimes crient à nos oreilles leur inlassable protestation, est-ce qu'il sera écrit qu'après ces effroyables vêpres d'Arménie la seule chose que la diplomalie européenne ait su faire, après de vaines et timides protestations, après des démarches presque ignominieuses parce qu'elles n'étaient pas suivies d'action, ça été de permettre au sultan de rencontrer en champ clos le petit royaume de Grèce et de le vaincre, lui et l'espoir légitime de l'hellénisme, en face de l'Europe tout entière.

Eh bien ! à l'heure actuelle, encore que je reconnaisse volontiers que la question de Macédoine est hérissée de difficultés et de complications qu'on ne peut trancher en s'en référant purement et simplement à des principes vagues et abstraits, je me permettrai tout de même, messieurs, de signaler à la Chambre à quel point il est lamentable que vingt-cinq ans après le congrès de Berlin nous en soyons encore à discuter ici et autour du tapis vert des chancelleries, non pas même sur l'application des obligations solennellement contractées et qui ont reçu leur contre-partie à ce moment, mais sur de petits acomptes que nous disputons au mauvais vouloir du sultan. Qu'est-ce donc que cela, sinon le commencement de la faillite et de la banqueroute de la diplomatie européenne ? Et d'où cela peut-il venir ?

Ah! je le sais bien, messieurs. C'est de la prédominance dans la diplomatic et les gouvernements actuels de ces dogmes diplomatiques qui sont très souvent des vérités d'hier figées en erreur d'aujourd'hui.

En effet, on a constamment appliqué aux phases successives de la question d'Orient des principes qui avaient pu convenir aux phases antérieures. Dans la première phase, l'Europe tout entière était en quelque sorte engagée dans une croisade on disait dans ce temps-là la Chrétienté contre l'invasion du Turc, alors que l'on craignait que le flot de l'Islam, qui avait franchit le Danube et était arrivé jusqu'à Buda-Pesth, n'envahît l'occident tout entier. Il y eut un mouvement unanime pour refouler l'Is

lam; mais cela ne dura pas longtemps, et on en vint à la politique réaliste et pratique ce fut Sa Majesté très chrétienne, le roi François 1er, qui, le premier, comprit qu'il y avait là une force considérable à exploiter, qu'il fallait en Europe jeter dans le plateau de la balance le contre-poids de la Turquie. Il sollicita des privilèges et des capitulations. Mais ce qu'il y a de curieux, messieurs, c'est qu'au moment où l'on appliquait cette politique nouvelle on gardait la phraséologie de l'époque de la croisade et de la lutte sacrée contre l'Islam. Du reste, cette époque de la force de l'empire ottoman passe bien vite. Ce qui fait ensuite la question d'Orient, ce n'est plus alors la menace de l'empire olloman suspendue sur l'occident, c'est la crainte que cet empire, si vite usé, ne tombe trop vite en ruine.

La Russie, emportée par sa vocation historique et ses appétits territoriaux, ne peut pas être arrêtée dans sa marche conquérante vers la Méditerranée et la mer Noire; la Russie regarde constamment du côté de Constantinople. Et alors, messieurs, on fabrique dans les chancelleries et on promulgue comme un dogme le grand principe qui va dominer la diplomatie européenne pendant deux siècles: le maintien de l'indépendance et de l'intégrité de l'empire ottoman. On en fait de multiples applications; la guerre de Crimée en est la plus décisive. Quand, après cette guerre, les puissances, l'Angleterre et la France, constatent que si la Turquie existe encore c'est à elles seules qu'elle le doit, et que, par conséquent, elles ont assumé une responsabilité bien lourde en face du monde civilisé tout entier et des populations sujettes, comprirent-elles du moins, messieurs, que s'il s'agissait de maintenir l'intégrité de l'empire ottoman, on ne pouvait plus parler de son indépendance? Non, messieurs, on appliqua mécaniquement, superstitieusement l'ancienne phraséologie qui s'expliquait, qui se justifiait peut-être durant la période de force de l'empire ottoman, et l'on rédigea ce prodigieux article du traité de paix, aux termes duquel les puissances s'interdisaient d'intervenir dans les affaires intérieures de la Turquie, article qui traduisait l'illusion persistante, obstinée, mortelle, de la diplomatie; les événements se chargèrent, messieurs, de la démentir bien vite. Il y eut d'abord les affaires de Moldo-Valachie, puis celles de Serbie et de Crète, dans lesquelles l'Europe fut forcée, malgré les lettres du traité, d'intervenir dans les affaires de Turquie. Ce fut alors qu'éclata la guerre de 1877.

Au congrès de Berlin, l'Europe recréait, elle remettait sur pied, elle ressuscitait la Turquie : c'est évidemment à l'Europe scule que la Turquie. doit ce nouveau bail de vie. A ce moment, messieurs, les puissances semblent, dans un éclair, comprendre qu'elles ont véritablement contracté des devoirs nouveaux, et elles inscrivent dans le traité de Berlin une série d'obligations dont elles s'engagent à assurer le respect et l'exécution.

Oui, cela était fort bien, mais un nouveau changement se produit alors. La Russie, après avoir été la protectrice née de toutes ces nationalités, s'aperçoit qu'au lieu de constituer pour elle des étapes sur la route de Constantinople, ce sont des remparts qu'elle a élevés de ses propres mains, une triple enceinte qu'elle a érigée entre elle et l'objet de son ambition. Elle modifie alors sa politique: au lieu de chercher à développer ces nationalités, elle vise à maintenir l'empire ottoman dans son intégrité. Et par contre, messieurs, les autres puissances qui auraient dû comprendre que l'avenir était dans le développement de ces nationalités, les puissances qui auraient dû servir comme les leurs mêmes, et comme le gage de la paix et l'instrument du progrès, les intérêts de la Bulgarie, de la Ser

bie, de la Roumélie, de la Grèce, les puissances n'ont pas l'air de comprendre. Elles persistent dans les anciens errements, dans leurs anciennes. voies; elles continuent à respecter superstitieusement le dogme figé de l'indépendance et de l'intégrité de l'empire ottoman, sans comprendre qu'actuellement il ne peut y être question d'intégrité qu'en proportion inverse de l'indépendance et que s'il y a indépendance, il ne peut pas y avoir d'intégrité.

C'est au moment où elles étaient en quelque sorte en flagrant délit de contradiction, d'hésitation et d'incertitude, que sont survenus ces terribles événements auxquels je faisais allusion tout à l'heure. L'Europe s'est laissée surprendre sans avoir une théorie formée ni un principe arrêté, sans savoir ce qu'elle pensait, sans savoir ce qu'elle devait faire; et alors, si elle ne s'est pas croisé les bras, elle a fait quelque chose de pire: elle a piétiné sur place dans le sang des victimes.

Quant à nous, messieurs, nous croyons qu'à cette heure le moment est venu de secouer cette paralysie, de sortir de cette impuissance, d'autant plus que les événements s'annoncent plus menaçants et que si ce qui a été fait où ce qui a été tenté à Constantinople était réellement toute la limite de l'effort européen, il ne faudrait pas nous étonner si d'ici à quelques semaines, si pendant le cours du mois d'avril, nous voyions éclater une insurrection auprès de laquelle celle de l'automne dernier n'aurait rien été.

Aurions-nous, messieurs, la prétention ou la présomption, nous tournant vers M. le Ministre des Affaires étrangères ou vers les représentants des autres diplomaties, de leur tracer un progamme détaillé, minutieux, et leur dire pas à pas, article par article, comment nous comprenons qu'ils agissent ? Non; tel n'est pas notre désir, je dirai notre vocation de représentants du pays. Nous devons purement et simplement nous efforcer d'indiquer à M. le Ministre des Affaires étrangères les principes généraux, de lui tracer les grandes lignes de la conduite qui nous semble seule pouvoir donner une solution pacifique à la crise actuelle.

Je n'hésite pas à dire, messieurs, et à proclamer tout d'abord que l'on se trompe singulièrement sur nos intentions, quand on nous attribue à l'heure actuelle le désir de voir porter une atteinte quelconque à l'intégrité de l'empire ottoman en Macédoine. Tel n'est pas notre but. Nous croyons au contraire, je le répète, que l'intégrité de l'empire ottoman est devenue en quelque sorte une garantie de sécurité à la fois pour l'Europe et pour les populations sujettes; elle est devenue une espèce de doctrine de Monroë de l'Orient qui prononce un utile Noli me tangere, et qui interdit aux puissances qui ont des ambitions et des convoitises de mettre la main sur ces débris de l'empire ottoman. Elle interdit aussi aux nationalités sujettes et opprimées de songer à excercer les unes sur les autres, une primauté qui dégénérerait bien vite en oppression.

Ce que nous voulons, messieurs, au contraire, c'est, en maintenant les cadres actuels de l'empire ottoman, d'en transformer radicalement l'esprit, l'administration et le gouvernement. Et il ne s'agit pas là d'une œuvre chimérique et impossible.

On nous répète sans cesse que nous voulons en quelque sorte appliquer les principes de 1789 ou appliquer la constitution de 1875 à la Turquie. Il n'en est pas question, messieurs. Nous croyons, au contraire, qu'il existe actuellement encore dans l'organisme ottoman, dans l'organisme oriental certains éléments vivants et qu'il suffirait de les reprendre et de les déve

lopper pour donner les garanties nécessaires de bon gouvernement aux populations qui y ont droit.

Il y a, d'une part, au sommet, l'autorité représentée par le vali, par le gouverneur général. Que ce vali soit nommé et choisi avec la sanction de l'Europe, qu'il ne puisse être déplacé qu'avec son consentement, qu'il ne puisse agir que sous son contrôle, qu'il ne puisse pas recevoir ces ordres constants, contradictoires qui lui viennent du palais, qui le font danser comme une marionnette au bout d'un fil, pour troubler sa politique et pour le contraindre le plus souvent à commettre des actes néfastes: qu'il soit entouré d'un conseil administratif élu, d'un conseil consultatif qui lui apporte les éléments nécessaires du contrôle local et immédiat.

Puis, messieurs, il y a là-bas, en Macédoine, comme dans le reste de l'Empire ottoman, une cellule qui est encore extrêmement vivante. On a essayé vainement de faire vivre le canton, on a essayé vainement de faire vivre la sous-préfecture et la préfecture; mais il reste la commune.

Il reste la commune avec ses éléments organiques, avec, en particulier, le moukhtar ou le maire, avec son conseil administratif élu. Donnez à la commune une pleine liberté d'administration; placez-là avec un conseil électif en face d'un vali qui ne soit plus le représentant ou l'esclave de Yildiz-Kiosk mais le représentant et l'organe de la mainmise et de la tutelle de l'Europe sur l'Empire ottoman.

Puis, messieurs, car nous ne nous enveloppons pas dans un vague commode et nous ne reculons pas devant l'indication de réformes plus précises et plus pratiques-vous imaginez-vous réellement qu'on pourra dire que la Macédoine a reçu des garanties sérieuses tant qu'on n'aura pas porté la main par exemple sur la justice? Mais la justice, elle touche par tous les points de la circonférence, à chaqne instant, à la vie de ces malheureuses populations.

Que sont ces tribunaux, dans lesquels il n'y a pas de chrétien, auxquels n'ont pas accès les nationalités sujettes, qui sont en quelque sorte chargés de l'administration partiale du Coran, du Chéri, et qui n'ont même pas l'indépendance d'une situation assurée et d'un salaire régulier? Il faudrait organiser des tribunaux mixtes dans lesquels les éléments de diverses nationalités seraient représentés, il faudrait remanier et simplifier les lois, la procédure; il faudrait que ces tribunaux eux-mêmes fussent placés sous des inspecteurs européens chargés, comme en Roumélie orientale, de donner à un certain moment une impulsion nouvelle à tout ce vaste organisme et d'implanter enfin dans la magistrature de ce pays, l'esprit de justice tel que nous le comprenons - je ne dis pas, hélas! tel que nous le pratiquons.

J'insiste encore, messieurs, sur la gendarmerie et la police ; si vous voulez qu'elles ne soient plus un fléau et un instrument de torture pour cette malheureuse province, recrutez-les avec soin; faites-les mixtes et surtout placez-les entre les mains d'officiers et sous le commandement d'officiers généraux qui n'appartiennet pas au sultan, qui ne soient pas sous son autorité, qui aient été pris dans des nations neutres Belgique, Suisse, Danemark par le choix des puissances.

En ce qui concerne les impôts, messieurs, il en est actuellement quatre qu'ont à payer ces malheureuses populations.

M. LE PRÉSIDENT. On a écouté les orateurs qui ont précédé M. de Pressensé : je vous prie de l'écouter également. Il n'en est certainement pas de plus compétent en matière d'affaires étrangères !

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