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Désirée par les économistes, proposée par les jurisconsultes, la limitation des armements avait d'ailleurs, à plusieurs reprises, attiré l'attention et mérité la faveur des hommes d'État. Au Congrès de Vienne elle fut amenée sur le tapis par le Prince régent d'Angleterre, accueillie sympathiquement par la Russie, puis par l'Autriche. Alexandre Ir écrivait à lord Castlereagh, le 21 mars 1816 : « Il est nécessaire que le désarmement s'effectue avec cet accord et cette loyauté imposante, qui a décidé du salut de l'Europe et qui peut seule aujourd'hui assurer son bonheur. Dans un Memorandum sur l'institution des armées permanentes en général, le Prince de Metternich s'évertuait à démontrer que « la véritable force des princes se trouve bien plus dans leur système de gouvernement... que dans un grand appareil de forces militaires » (1). Plus tard, le 4 novembre 1863, dans une belle lettre aux Souverains de l'Europe, Napoléon III prenait l'initiative d'une semblable ouverture (2). Quelques années encore, et, le 30 août 1877, à Paris, Gambetta chargeait M. Crispi d'aborder avec le Prince de Bismarck, à Gastein (17 septembre), la question du désarmement. Le grand chancelier s'était montré défavorable: Laissons, avait-il dit, ce projet aux Sociétés des Amis de la paix (3). Mais la question préoccupe toujours les diplomates. Lord Salisbury fait rédiger sur elle en 1890 un Mémoire, qui résume avec précision les dépenses et les charges occasionnées par la paix armée des divers États d'Europe. Ce Mémoire, préparé pour l'usage exclusif du Cabinet britannique, fut pourtant l'objet d'une communication confidentielle à l'Empereur d'Allemagne, et Guillaume II, très impressionné, fit immédiatement l'offre de convoquer un Congrès européen, pour y remédier; la presse allemande reçut un mot d'ordre en ce sens, mais la campagne commencée tomba vite devant la très nette opposition de la France (4). Trois ans plus tard, le Roi Christian de Danemark déclarait à un homme d'État espagnol qu'il espérait, grâce à son gendre Alexandre III, voir bientôt l'Europe arriver à la réduction des armements ». La mort en empêcha le Tsar. Mais, en 1896, M. de Basily, chef du Département de l'Asie au ministère russe des affaires étrangères, se faisait,

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(1) Comp. F. de Martens, Recueil des traités et conventions conclus par la Russie avec les puissances étrangères, t. IV, p. 36; t. XI, p. 258.

(2) Annuaire diplomatique de 1863, t. IV, p. 188; V. cette Revue, t. V (1898), p. 692, note 1. Sur le projet de 1863 et sur les idées de Napoléon III qui suivirent ce projet, V. Pingaud, Napoléon III et le désarmement, dans la Revue de Paris du 15 mai 1899, p. 286 et suiv.

(3) Le fait est rapporté par Crispi, La Conferenza del disarmo, dans la Nuova Antologia du 15 mai 1899, p. 364.

(4) Diplomaticus, The vanishing of universal peace, dans la Fortnightly Review, mai 1899, p. 875.

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à la Conférence interparlementaire de la paix, à Budapest, le champion de la réduction des armements. En novembre 1897, lord Salisbury, à Mansion House, lui renvoyait l'écho de ses paroles, en sollicitant un accord des puissances sur la réduction des armements (1). C'est alors que, sous l'influence combinée de MM. de Bloch et de Basily, Nicolas II chargea le Comte Mouravieff d'adresser aux Cabinets sa première circulaire. Il avait avec lui les économistes, les juristes et les hommes d'État fort de leurs tendances favorables, le jeune Empereur escomptait le succès. B. Attitude des puissances entre le premier Message et l'ouverture de la Conférence. Dès son premier Message, Nicolas II sentit cependant qu'il avait été trop vite, et que, dans la noble ardeur de sa jeunesse, il se heurtait au scepticisme de l'opinion. Les amis de la paix se réjouissaient bruyamment. Mais les diplomaties gardaient plutôt une attitude hostile; la presse quotidienne restait sceptique; les jurisconsultes multipliaient les objections. La proposition était reçue avec une défiance universelle. En Angleterre, l'accueil était des plus froids. Sous la pensée pacifique du Tsar, l'opinion britannique dénonçait des arrière-pensées politiques. Au projet généreux du désarmement, elle trouvait des raisons égoïstes. Au lieu d'un acte humanitaire, elle y voyait un acte russe. Personne ne doute, déclarait-on, des nobles sentiments du Tsar. Mais il faut craindre que ces nobles sentiments ne soient mis au service de la Russie par l'habileté de ses hommes d'État. La politique russe a toujours été si astucieuse qu'il n'est pas étrange de supposer une seconde fin au Message du Tsar. La Russie, presque invulnérable en Europe et maitresse en Asie d'un vaste Empire, dont le cadre seul est tracé, manque de temps et d'argent pour l'organiser. Sans désir de conquête à l'Occident, quasi-maîtresse de la Bulgarie, protectrice respectée de la Porte ottomane, qu'attend-elle, en Europe, d'une guerre même heureuse? Tandis que, pour le développement de ses possessions extra-européennes, elle n'a pas besoin d'hommes, car elle a pris sans guerre Port-Arthur, Talien-Wan et le Nord de la Mandchourie, elle a besoin d'argent pour construire le Transsibérien qui lui permettra de jeter en un moment des corps d'armée sur la Chine ou sur l'Inde (2). Le budget russe pour 1899 traite le Département du Prince Hilkoff, ministre des communications, avec une générosité voisine de la prodigalité: 397 millions de roubles, dont 109 pour le développement des voies ferrées. Si la Russie réclame la diminution des armements et des budgets, c'est pour pouvoir faire face à ces dépenses. Mais l'accomplissement du Transsibérien ou

(1) Catellani, Realtà ed utopie della pace, p. 59-60.

(2) Moulwic Rafieddin Ahmad, dans le Nineteenth Century, décembre 1898. Comp. Catellani, Realtà ed ulopie della pace, p. 86.

des chemins de fer qui se dirigent vers l'Inde et le golfe Persique n'est pas une entreprise plus pacifique que le lancement d'un navire de guerre à Portsmouth ou la construction d'une forteresse sur le Rhin, à cause du caractère hautement stratégique de ces lignes (1). Ce n'est pas aux peuples du monde, mais au sien propre que le Tsar offre sa trêve. Ainsi pensait l'Angleterre. Le Nineteenth Century imprimait, en décembre 1898 (2), qu'en faisant l'apologie du désarmement, le Tsar rappelait le loup de la fable, conseillant à la chèvre d'abandonner ses cornes. En mai 1899, le même recueil publiait un premier article, sous ce titre caractéristique: Les hypocrisies de la Conférence de la Paix (3). L'auteur, Sidney Low, terminait en disant que, par des propositions innocentes sur les ambulances et l'arbitrage, la Russie voulait masquer le caractère trop personnel de ses desseins. La Fortnightly Review publiait, au moment même de l'ouverture des travaux, c'est-à-dire en mai, sous le pseudonyme Diplomaticus, un article très sceptique sur l'illusion de la paix universelle (the vanishing of universal peace) (4). Sur l'arbitrage, le sentiment public était peut-être meilleur. Sur la limitation des armements, il était aussi défavorable que possible.

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En Allemagne, l'accueil était aussi des plus hostiles. Dans les Preussische Jahrbücher, le professeur Hans Delbrück (5) déclarait que, « de toutes les grandes puissances, l'Allemagne était la seule à avoir aussi bien des hommes que de l'argent. Donc, pas de réduction sur les effectifs, car ce serait perdre l'avantage en hommes (6); pas de réduction sur les budgets, car ce serait perdre l'avantage en argent. Derrière les propositions russes, l'Allemagne voit comme l'Angleterre un calcul. Mais, tandis que l'Angleterre songe surtout aux chemins de fer qui la menacent en Asie, l'Allemagne songe qu'à la différence de la Russie, qui n'a qu'une frontière à garder, elle en a deux, l'une à l'Est, l'autre à l'Ouest, de sorte qu'en limitant ses armements sur le pied de la population ou du territoire elle commettrait une grosse erreur et ferait trop naïvement le jeu de sa voisine. L'opinion publique était glorieuse de pouvoir dire avec Delbrück: « La seule puissance qui, sans difficultés, puisse encore accroître ses forces militaires, c'est uniquement l'Empire allemand > (7). Le

(1) Sidney Low, The hypocrisies of the Peace Conference, dans le Nineteenth Century n° 267, mai 1899, p. 694.

(2) Moulwic Rafieddin Ahmad, loc. cit.

(3) Mai 1899, p. 689-698.

(4) P. 871-880.

(5) Delbrück, Zukunsftskrieg und Zukunftsfriede, dans les Preussische Jahrbücher, mai 1899, LXIX, p. 203-230.

(6) Moyenne de l'accroissement de population par an 800.000 âmes.

(7) « Die einzige Grossmacht, die ohne jede Schwierigkeit noch eine wesentlich höher Kraft entwickeln könnte, bleibt das deutsche Reich » (Delbrück, loc. cit., p. 217).

professeur von Stengel, de Munich, exprimait le sentiment commun de ses compatriotes en publiant, à la louange de la guerre, une brochure : Der ewige Friede (1), qui fut rapidement célèbre, surtout quand, par un procédé dont la franchise dépassait le tact, l'Empereur Guillaume eut chargé son auteur de le représenter officiellement à la Haye. C'était, suivant une curieuse caricature allemande, introduire un taureau dans un parterre de tulipes (2). Le jardin et les fleurs devaient plutôt en souffrir.

Le projet de désarmement, si mal accueilli par l'Angleterre et l'Allemagne, ne devait pas plaire davantage à l'Italie d'abord, parce qu'elle a généralement une tendance à prendre la remorque de l'Angleterre ; ensuite, parce qu'elle gardait rancune à la Russie d'avoir un moment songé à convoquer le Pape; enfin, parce que, manquant d'argent, mais non d'hommes, elle n'avait d'intérêt qu'à la réduction des budgets, non à celle des effectifs. Comme l'écrivait l'ancien ministre Crispi, en mai 1899, l'Italie veut garder ses coudées franches pour avoir le droit de rentrer dans la possession de ceux de ses territoires, qui sont encore soumis à l'étranger (3). Aussi Catellani, dans la Riforma sociale (4), s'attarde avec complaisance à reproduire plutôt longuement les accusations d'arrière-pensée dirigées contre la Russie par la Grande-Bretagne sur le point précis de la limitation des armements, tandis que Pasquale Fiore, dans la Nuova Antologia, s'efforce, pour rallier l'opinion italienne, de démontrer qu'on a tort d'appeler la réunion projetée « Conférence du désarmement, alors qu'elle a d'autres objets et que, de l'aveu de tous, la limitation des armements est, dit-il, impossible (5). Bref, en Italie comme en Allemagne, en Allemagne comme en Angleterre, l'échec du thème initial, relatif à la diminution des dépenses de guerre, était complet.

En Autriche, il eût, comme le remarque Delbrück, plus volontiers trouvé faveur; mais la nécessité des alliances était plus forte. L'Espagne eût adhéré par nécessité financière; mais les vaincus ont leur fierté, et, sans refuser de venir à la Conférence, elle n'entendait y jouer qu'un rôle ef

(1) Der ewige Friede, Munich, 1899.

(2) Rapporté par W. Stead, The Parliament of Peace (brochure qui contient des portraits, des autographes et des biographies des principaux membres de laConférence), mai 1899, p. 4.

(3) Crispi, La Conferenza del disarmo, dans la Nuova Antologia du 15 mai 1899, CLXV, P. 366.

(4) Les articles publiés dans ce recueil ont été réunis à part, dans une forte brochure de 131 pages in-8° sous ce titre Reallà ed utopie della pace, Roux Frassati e Co, Torino, 1899. V. pour les idées émises au texte p. 85 et suiv., p. 97 et suiv.

(5) Pasquale Fiore, L'Imperatore di Russia e la Conferenza, dans la Nuova Antologia du 1er mars 1899, CLXIV, p. 176.

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facé. Les petits États, qui supportent allègrement des charges moindres, ne voyaient pas la nécessité de s'épargner des maux qu'ils ne sentaient guère. Les États-Unis, qui venaient triomphalement représenter l'Amérique,considéraient, en vertu de la doctrine de Monroe (1), la limitation des armements d'Europe comme une chose étrangère. Ils entendaient, quant à eux, rester libres, et, pour donner carrière aux ambitions ardentes d'un Impérialisme tout neuf, ils parlaient, au même moment, d'accroître leurs effectifs et d'augmenter leurs dépenses. En même temps, ils rejetaient, non sans habileté, la question du désarmement derrière celle de l'arbitrage. La question du désarmement, lisait-on dans la Nation du 1er juin, est plus étroitement liée à celle de l'arbitrage qu'on ne le suppose. L'introduction d'un système effectif d'arbitrage rend seule possible le désarmement (2). C'était dire nettement que, pour le désarmement, il ne fallait pas dès maintenant compter sur le concours des États-Unis. Occupés à développer leur flotte et préoccupés de réorganiser leur armée, ils ne voyaient dans le projet du Tsar que le 8e thème, relatif à l'arbitrage, si bien que leurs diplomates, arrivant à la Haye, ne songeaient même pas à la limitation des armements, où ils ne voulaient pas se restreindre, comme le prouve la curieuse correspondance adressée par l'un d'eux, dès son arrivée à la Haye, à la North American Review (3). Enfin, quant aux nations asiatiques, conviées à la Conférence, il n'était pas possible de compter sur elles pour la limitation des armements, car, sans importance au point de vue militaire, elles n'avaient le Japon, pour quarante-deux millions d'habitants, que quarante et un mille hommes sous les armes, - la Perse, pour neuf millions d'habitants, que cent cinq mille hommes, réduits en réalité à soixante mille, le Siam, avec dix millions d'habitants, que trois mille six cents soldats en temps de paix, à peine dix mille en temps de guerre, la Chine, pour trois cent cinquante-sept millions d'habitants, une armée mal instruite et mal équipée d'une centaine de mille hommes (4). Comment penser qu'en renonçant au droit d'augmenter leurs forces, elles se livreraient d'avance à l'Europe? A cet égard l'invitation de la Russie trouvait partout froid accueil. C'était sur ce point,

(1) Holls, The Peace Conference and the Monroe doctrine, dans la American Monthly Review of Reviews, novembre 1899, p. 562.

(2) Arbitration and disarmement, dans la Nation du 1er juin 1899, t. LXVIII, no 1770, p. 410.

(3) V. le curieux article: A diplomatist at the Hague, The Peace Conference: ist possible practical results, dans la North American Review, juin 1899, t. CLXVIII, no 6, p. 770-778. Cinq lignes seulement, in fine, y sont consacrées à la question du désarmement; tout le reste roule sur l'arbitrage.

(4) Chiffres empruntés à l'article de F. Crispi, La Conferenza del disarmo, dans la Nuova Antologia, loc. cit., p. 361.

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