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sions, ils acceptent que la souveraineté des États entraîne, au moins en théorie, leur égalité juridique.

Quant à Lorimer, qui d'après les facteurs mentionnés voudrait établir une échelle de la valeur des États, il suffirait de lui demander à qui, en fin de compte, incombera la tâche de classer les États d'après ces facteurs, abstraction faite de ce que ces facteurs ne sauraient jamais être mathématiquement précisés? Évidemment aux États eux-mêmes, puisqu'il n'y a pas de législateur au-dessus d'eux; or, voilà que dans l'œuvre même de la classification, qui certes serait la plus importante de toutes celles qui jamais auraient été entreprises par la société internationale, les États participeraient forcément à voix égale et munis des mêmes droits. Mais alors, existe-t-elle vraiment cette inégalité qu'on prétend être déjà inhérente à la communauté des nations?

Les objections isolées des quelques partisans de l'inégalité des États ne pourront, croyons-nous, ébranler le principe de la parité presque universellement reconnu. Ceux qui s'opposent à l'idée de l'égalité confondent, à notre avis, l'égalité juridique avec l'égalité de fait, l'égalité sociale; l'inégalité sociale, inhérente à la nature des choses et nécessaire dans les différentes espèces de sociétés, est quelque chose d'autre que l'inégalité juridique (1). Dans la société des hommes il y a de ces inégalités sociales par suite des inégalités dans la distribution des dons de la nature et de la fortune ou par suite de la différence dans l'usage que font les hommes des dons qui leur sont attribués; cependant personne n'oserait nier aujourd'hui l'égalité juridique entre les hommes dans l'État moderne. C'est ce qui arrive dans la société des États.

Ici aussi il existe des inégalités de fait, par suite des différences sociales parmi les États (2); ces différences sont de haute importance pratique dans la politique et se manifestent plus ouvertement encore dans une communauté non organisée telle que la communauté internationale. Mais ces différences ne peuvent altérer l'égalité juridique des États, tant qu'elles n'altèrent pas leur souveraineté. Or, leur souveraineté est intangible, tant que le droit international actuel est en vigueur.

(') Voir PRADIER-FODÉRÉ, t. II, § 450.

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(2) Rivier, Principes, t. I, p. 124, et Lehrbuch des Völkerrechts, § 13. MARTENS-BERGBOHм, t. I, § 70, 288. p. - FIORE, loc. cit., art. 421. BULMERINCQ, loc. CARNAZZA-AMARI, t. Ier, p. 383. NEUMANN, loc. cit. HARTMANN, loc. cit. DESPAGNET, p. 188. - CHRÉTIEN, Principes, p. 167.

cit.

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et autres.

PIÉDELIÈVRE, t. I‹, p. 244,

C'est donc avec raison que M. Frédéric de Martens a dit que la tentative des grandes puissances de disposer du sort des autres, de s'immiscer dans leurs affaires intérieures et de diriger leurs relations internationales est dénuée de toute raison juridique (1). D'ailleurs, même la tentative d'Aix-la-Chapelle, en 1818, ne visait pas à l'institution d'une autorité permanente; elle signifiait plutôt que les grandes puissances avaient la force et se croyaient obligées de coopérer à tout règlement des affaires de l'Europe (2). Les grandes puissances n'osèrent pas proclamer l'inégalité entre les États; dans le protocole du 15 novembre 1818, il est expressément énoncé que dans le cas où les réunions entre les grandes puissances auraient pour objet des affaires spécialement liées aux intérêts des autres États de l'Europe, elles n'auraient lieu qu'à la suite d'une invitation formelle de la part des cours de ces États que lesdites affaires concerneraient et sous la réserve expresse de leur droit d'y participer directement ou par leurs plénipotentiaires ».

S'appuyant sur cette reconnaissance émanée des grandes puissances elles-mêmes, Bluntschli pose la règle que « tout État a le droit d'exiger que ses propres affaires ne soient pas réglées par les grandes puissances sans qu'il soit appelé à participer aux résolutions (3) ».

Il est vrai que cette règle a été quelquefois négligée par les grandes puissances (4); mais ces violations ne détruisent pas le principe du droit international, pas plus, du reste, que les infractions aux principes du droit interne n'abolissent ceux-ci.

Nous devons conclure que l'égalité juridique absolue entre les États est un fondement du droit internationa!. Une organisation de la société des États basée sur l'inégalité juridique et y instituant une autorité supérieure, n'existe pas aujourd'hui.

Mais, ne pourrait-on pas voir dans la pentarchie ou dans l'hexarchie des grandes puissances le commencement d'une pareille organisation pour l'avenir?

Peut-être, dit Bluntschli, la soi-disant pentarchie pourrait-elle être regardée comme le point de départ d'une organisation de l'Europe, quoique jamais elle ne puisse apparaître comme une organisation effec

(') MARTENS-BERGBOHM, loc. cit., p. 289.

(2) Cpr. avec BLUNTSCHLI, art. 103 et notes.

(3) BLUNTSCHLI, art. 106.

(*) Ainsi vis-à-vis de la Grèce en 1869, lors de la Conférence de Paris à propos des complications de l'affaire crétoise (voir notre article précité dans la Revue générale du droit international public, p. 74) et vis-à-vis de la Roumanie en 1883.

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tuée. » Il résulte de ces lignes que Bluntschli ne se montre pas tout à fait défavorable à cette idée.

Westlake, de son côté, note le progrès opéré par suite de l'imposition par les grandes puissances de leurs résolutions unanimes aux petits États. Il rappelle les faits qui se sont produits après le traité de Berlin, lorsque le consentement de la Grèce n'a pas été jugé formellement nécessaire pour la nouvelle délimitation des frontières grecques. L'acceptation de la Grèce n'aurait même pas figuré dans le traité conclu entre les grandes puissances et la Sublime Porte. « Par cela même, écrit Westlake ('), que l'on ne considérait pas l'acceptation comme formellement nécessaire quand il y avait une déclaration de la volonté de l'Europe, il est possible d'apprécier quelle inégalité politique est compatible, dans le système européen, avec l'égalité juridique. Le fait ne doit point être condamné. Il peut apparaître comme un pas fait en avant vers l'établissement d'un gouvernement européen; or, dans aucune société on ne saurait, sans gouvernement, réaliser de façon permanente la paix et l'ordre. Seulement, celui qui se livre à l'étude du droit international doit bien noter le fait, quelque puisse en être le développement ultérieur. »

Holtzendorff, examinant la chose plutôt au point de vue de la politique pratique, arrive à des conclusions pareilles, quand il traite du principe de l'équilibre des puissances (2). Il est naturel, dit-il, que les petits États soient moins que les autres à même de résister à l'action unanime des grandes puissances. Mais la soumission (volontaire) aux conseils communs des grandes puissances, qui au moins présentent la présomption de l'existence d'un intérêt général de la société des nations, contribue bien mieux à consolider la position juridique des petits États que la soumission aux menaces de forts voisins isolés qui était obtenue jadis.

Voilà l'opinion émise, au point de vue théorique et pratique, sur la valeur de la coopération unanime des puissances, par trois écrivains éminents du droit des gens. Aucun d'eux ne pose l'hégémonie des grandes puissances comme un principe du droit des gens. Ils partagent tous les trois la conception commune, si bien exposée par Rivier (3) dans son livre magistral sur le droit des gens. Rivier caractérise l'hégémonie

(1) WESTLAKE, traduction Nys, loc. cit.

(2) Handbuch des Völkerrechts, t. II, p. 16.

(5) Principes du droit des gens, t. Ier, p. 124 et suiv.

comme un fait politique, n'ayant trait qu'à la politique seule et ne touchant pas au droit ou à l'égalité juridique des puissances.

les

Cependant, malgré la réserve avec laquelle ils se prononcent, auteurs précités semblent admettre la possibilité d'une utilisation pour l'organisation de la société internationale de la supériorité des grandes puissances.

Quant à l'opinion exprimée par Holtzendorff, il est irréfutable qu'elle renferme beaucoup de vérité pratique, en ce sens que la résistance des petits États aux résolutions communes des grandes puissances peut leur devenir préjudiciable. En outre, on ne saurait nier que toute action politique tendant à assurer la concorde et la paix devra sans doute être accueillie avec empressement et reconnaissance. Enfin, personne ne conteste que dans l'action unanime des grandes puissances, il existe une certaine garantie de leur impartialité et de leur préoccupation d'assurer l'intérêt commun de la société internationale, qui comme tel est supérieur aux intérêts particuliers de chaque État.

Et peut-être que Holtzendorff n'entend pas dire davantage; car luimême conteste, en d'autres parties de son ouvrage, le droit des grandes puissances de décider définitivement dans les différends entre les autres États et d'imposer par des menaces ou par des moyens violents leur volonté aux États récalcitrants (1). D'ailleurs, il ne parle que d'une présomption, laquelle évidemment par elle seule ne saurait suffire comme base d'une règle juridique.

Mais, peut-être, l'idée de Holtzendorff va-t-elle plus loin encore; si c'est le cas, nous ne pouvons pas le suivre. Est-ce qu'en effet la seule unanimité des grandes puissances présente toujours une présomption pour l'existence d'un intérêt commun de la société internationale?

Une telle présomption devrait avoir pour base une véritable préoccupation de toutes les grandes puissances pour le règlement de toutes les questions pendantes de la société des nations. Mais que de fois les grandes puissances protestent expressément de leur indifférence complète quant à la solution de telle ou telle question internationale? Que de fois dans le Reichstag allemand on a entendu parler des os du grenadier poméranien que l'Allemagne ne voudrait pas sacrifier en faveur d'une solution de la question d'Orient (2)! Cependant il est incontestable que

(1) Handbuch, t. II, p. 12, t. IV, p. 19.

(2) Voir notammment le discours du ministre des affaires étrangères à la séance du 8 février 1898 (Norddeutsche Allgemeine Zeitung du 9 février 1898, Parlaments-Beilage).

la question d'Orient a besoin d'être définitivement résolue et qu'elle intéresse au plus haut degré la société internationale. Faut-il rappeler les mots rapportés comme ayant été prononcés par le prince de Bismarck dans une des séances du congrès de Berlin: « Voyons, messieurs, nous ne sommes pas ici pour faire le bonheur de la Bulgarie (1)!

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Voilà pourquoi aussi, malheureusement, l'accord des puissances ne s'établit pas toujours sur des considérations se rapportant à la question même qui demande une solution, mais sous l'influence de motifs tout à fait étrangers, de combinaisons de politique générale, de compensations. Souvent même on est assez franc' que de déclarer qu'on ne se préoccupe guère des intérêts des peuples que regardent en premier lieu les questions à résoudre. Est-ce que, dans ces cas, l'unanimité contient une présomption de ce que la solution obtenue est conforme à la justice et aux intérêts de la société internationale en général ou des peuples principalement intéressés ?

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L'unanimité obtenue est-elle toujours sincère? Pourrait-on le supposer à propos de l'unanimité obtenue dernièrement dans la question crétoise, lorsque les grandes puissances elles-mêmes n'hésitent pas dévoiler leurs suspicions réciproques? Un entretien entre le représentant de la reine à Vienne et le comte Golochowski est caractéristique (2). Le comte Golochowski dit à l'ambassadeur d'Angleterre à Vienne que l'abstention de l'Angleterre du blocus de la Crète proposé par l'Autriche, en 1896, encouragerait les soupçons entretenus contre l'Angleterre s'empresse-t-il d'ajouter soupeons que, d'ailleurs, il ne partage certainement pas... Sur quoi l'ambassadeur de la reine lui répond qu'il y en a qui sont disposés à soupçonner l'Angleterre et que, pour ceux-là, quoi qu'elle fasse ou qu'elle ne fasse pas, elle ne pourra les convaincre de sa sincérité. » Et lord Salisbury avouait quelques semaines auparavant à l'ambassadeur de France à Londres (3) qu'il y a en Crète tant d'intérêts coïncidents des puissances et qu'il existe et qu'il a existé dans le passé tant de convoitises concernant l'influence exclusive sur l'île, qu'il ne peut pas s'imaginer qu'une puissance quelconque voudrait entreprendre une action isolée dans l'île. Voilà la clef du problème, voilà la raison principale de l'unanimité. Voilà la base de la

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(1) Voir dans la Revuc, 1881, p. 379, l'article de M. Rolin-Jaequemyns sur la Question d'Orient

(2) Blue Book, Turkey (7), 1896, p. 260, no 483.

(3) Blue Book, Turkey, loc. cit., p. 108.

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