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plus terribles circonstances. C'est pour elle qu'il n'y a point eu de révolution. On nous a vus plaisanter sur des crimes atroces, dont nous n'aurions dû que frémir; on a mis du ridicule à la place du courage; et ce peuple malheureux, et si obstinément gai, auroit pu dire aussi :

"J'ai ri, me voilà désarmé!

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PIRON, Métromanie.

A l'égard des romans et des ouvrages de théâtre, l'amour exclusif de ce genre de littérature est peut-être plus dangereux encore. Ils accoutument l'ame à ces sensations violentes, si opposées à cette heureuse habitude des sentimens doux et modérés, d'où résultent ces émotions paisibles, également nécessaires au bonheur et à la vertu; et si, à travers cette habitude et ce besoin des impressions fortes, et des mouvemens désordonnés, que cherchent à exciter les représentations théâtrales et les narrations romanesques, arrivoit une révolution inattendue, toute modération en seroit probablement bannie. On verroit souvent les

assemblées publiques dégénérer en représentations théâtrales, les discours en déclamations, les tribunes en loges, où les huées et les applaudissemens seroient prodigués avec fureur par les partis opposés; les rues même auroient leurs tréteaux, leurs représentations et leurs acteurs. Le même besoin de nouveautés se montreroit dans ce nouveau genre de spectacles; des scènes se succéderoient, chaque jour plus violentes, et les excès de la veille rendroient nécessaires les crimes du lendemain: tant l'ame, accoutumée aux impressions immodérées, ne sait plus s'arrêter, et ne connoît plus que les excès pour échapper à l'ennui!

Il est donc utile d'encourager d'autres genres de poësie, de ne pas rebuter par un dédain injuste ceux qui, sans cet appareil et tous ces mouvemens passionnés, tâchent d'embellir des couleurs poëtiques les objets de la nature et les procédés des arts, les préceptes de la morale ou les douces occupations de la vie champêtre. Telles sont les Géorgiques de Virgile tels sont, avec la double infériorité et de notre

langue et du talent de l'auteur, le poëme des Jardins et les Géorgiques françoises. La personne éclairée que je prends la liberté de réfuter regarde le sujet du premier de ces deux ouvrages comme peu intéressant. Veut-elle dire qu'il ne peut exciter ces secousses fortes et ces impressions profondes réservées à d'autres genres de poësies? je suis de son avis. Mais n'y a-t-il que ce genre d'intérêt ? Eh quoi! cet art charmant, le plus doux et le plus naturel et le plus vertueux de tous; cet art que j'ai appelé ailleurs le luxe de l'agriculture, que les poëtes eux-mêmes ont peint comme le premier plaisir du premier homme; ce doux et brillant emploi des richesses des saisons et de la fécondité de la terre, qui charme la solitude vertueuse, qui amuse la vieillesse détrompée, qui présente la campagne et les beautés agrestes avec des couleurs plus brillantes, des combinaisons plus heureuses, et change en tableaux enchanteurs les scènes de la nature sauvage et négligée, seroit sans intérêt ! Milton, le Tasse, Homère ne pensoient pas ainsi,

lorsque, dans leurs poëmes immortels, ils épuisoient sur ce sujet les trésors de leur imagination. Ces morceaux, lorsqu'on les relit, retrouvent ou réveillent dans nos cœurs le besoin des plaisirs simples et naturels. Virgile, dans ses Géorgiques, a fait d'un vieillard qui cultive au bord du Galèse le plus modeste des jardins, un épisode charmant, qui ne manque jamais son effet sur les bons esprits, et les ames sensibles aux véritables beautés de l'art et de la nature.

Ajoutons qu'il y a dans tout ouvrage de poësie deux sortes d'intérêt, celui du sujet et celui de la composition. C'est dans les poëmes du genre de celui de celui que je donne au public, que doit se trouver au plus haut degré l'intérêt de la composition. Là, vous n'offrez au lecteur ni une action qui excite vivement la curiosité, ni des passions qui ébranlent fortement l'ame. Il faut donc suppléer cet intérêt par les détails les plus soignés, et la perfection du style le plus brillant et le plus pur. C'est là qu'il faut que la justesse des idées, la vivacité

du coloris, l'abondance des images, le charme de la variété, l'adresse des contrastes, une harmonie enchanteresse, une élégance soutenue, attachent et réveillent continuellement le lecteur. Mais ce mérite demande l'organisation la plus heureuse, le goût le plus exquis, et le travail le plus opiniâtre. Aussi les chefs-d'œuvres en ce genre sont-ils rares. L'Europe compte deux cents bonnes tragédies: les Géorgiques et le poëme de Lucrèce, chez les anciens, sont les seuls monumens du second genre; et, tandis que les tragédies d'Ennius, de Pacuvius, la Médée même d'Ovide, ont péri, l'antiquité nous a transmis ces deux poëmes, et il semble que le génie de Rome ait encore veillé sur sa gloire, en nous conservant ces chefs-d'œuvres. Parmi les modernes nous ne connoissons guère que les deux poëmes des Saisons, anglois et françois, l'Art poëtique de Boileau, et l'admirable Essai sur l'homme, de Pope, qui aient obtenu et conservé une place distinguée parmi les ouvrages de poësie.

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