sible de tracer des règles précises sur l'étendue de la faculté dont jouit chacune des puissances belligérantes, de saisir les biens des sujets ennemis; car pendant la guerre les nations ne reconnaissent entre elles aucun juge supérieur. L'emploi d'actes de rétorsion et l'aggravation des conditions de la paix, lorsqu'un retour de la fortune permet de les imposer, sont les seuls remèdes aux excès dont l'une d'entre elles s'est rendue coupable à cet égard. III. Les biens possédés dans le territoire de l'une des parties belligérantes par des sujets de l'autre, continuent à y être protégés par les lois et ne peuvent leur être enlevés sans une violation de la foi internationale.5) La partie qui s'en est emparée, pourra tout au plus les mettre sous séquestre, si cette mesure était de nature à lui faire obtenir plus facilement les fins de la guerre. IV. La partie vainqueur doit éviter de commettre des ravages ou destructions de bieus ennemis, dès que la raison de guerre ne les justifie pas, ainsi que nous l'avons déjà dit (§ 124). Les nations civilisées devraient même éviter en pareil cas l'emploi de représailles. État de la jurisprudence moderne. § 132. La pratique moderne de la guerre est entrée, il faut en convenir, dans une voie conforme aux principes ci-dessus expliqués, sans que toutefois elle en ait admis les dernières conséquences. Elle a au contraire maintenu quelques restes des anciens Le secrétaire-ministre de la guerre américain M Marcy déclara en 1846 qu'en principe an invading army has unquestionably the right to draw supplies from the enemy without paying for them and to make the enemy feel the weight of the war." (Halleck XIX, § 17.) Mais il est toujours recommandable de faire les réquisitions par l'intermédiaire des autorités locales; c'est ce que firent les Anglais en France en 1815, tandis que les commandants prussiens, comme cela eut lieu aussi en 1870, prélevèrent eux-mêmes les subsides et par là provoquèrent des griefs que l'on n'eut pas à formuler contre les Anglais. Du reste il faut hautement désapprouver des réquisitions dans le genre de celle du préfet allemand à Nancy, le comte Renard, qui, en Janvier 1871, demanda 500 ouvriers pour rétablir un pont détruit par les francs-tireurs, menaçant d'en faire fusiller un certain nombre, si ces ouvriers ne se présentaient pas; menace qui du reste ne fut pas exécutée. Les contributions, autrefois fort en usage comme moyen de se racheter du pillage, sont aujourd'hui des exceptions justifiées seulement par des raisons spéciales.] 5) Comparez Massé, Droit commercial § 138. usages, dont aussi les théoriciens de l'école historique surtout se sont constitués les ardents défenseurs. En effet, en ce qui concerne d'abord le domaine des biens appartenant au gouvernement vaincu, la pratique du siècle dernier a souvent confondu la simple invasion avec la conquête définitive (ultima victoria), et elle a fait découler de la première des conséquences qu'il faut attribuer à la seconde seulement. D'après un usage presque constant, le souverain victorieux, après s'être. emparé de l'intégrité ou d'une partie du territoire ennemi, se faisait rendre par ses habitants l'hommage de sujétion. De nombreux auteurs continuaient à professer l'ancienne théorie, suivant laquelle les biens appartenant à l'ennemi étaient réputés sans maître (res nullius), et ils en concluaient que la conquête pourrait avoir pour effet une confiscation au préjudice du gouvernement vaincu. Le vainqueur disposait donc des terres par lui occupées comme de son domaine privé. C'est ainsi que George I, roi d'Angleterre, par un acte de cession ratifié le 17 juillet 1715, se fit transmettre le domaine des duchés de Brème, de Verden et de Stade par le roi de Danemark qui venait de les enlever en pleine paix à la Suède; car ce fut quelques mois après seulement que la guerre fut déclarée à ce dernier pays!1) Cette pratique s'est continuée pendant les guerres de l'Empire français au commencement de notre siècle. A l'égard des biens privés des sujets ennemis, le vainqueur se bornait à leur imposer des contributions et des réquisitions, ou à les soumettre aux besoins momentanés d'une marode disciplinée. Enfin les commandants de troupes ont toujours cherché à éviter autant que possible des ravages de propriétés ennemies, en ne les autorisant qu'en des cas exceptionnels. Si l'on a réussi ainsi dans les guerres de terre à circonscrire le droit de l'occupation dans des limites raisonnables, un système différent, profondément attentatoire au principe de la propriété privée, a prévalu dans les guerres maritimes, ainsi que nous aurons l'occasion de l'expliquer. Il y a même quelques auteurs qui, nous le disons avec regret, professent encore sur les changements que produit la guerre dans les conditions du domaine public et de la propriété privée, certaines théories inconciliables 1) Martens § 277 note b. a cité d'autres exemples. Les auteurs anglais et américains défendent avec opiniâtreté le système par nous condamné. V. Oke Manning § 277 note 6. Wildman II, 9. Halleck, ch. XIX. Il est vrai qu'ils ont en leur faveur l'autorité de Grotius et de Bynkershoek. v. § 131. N. 1 G. Mesures de correction et de rétorsion. § 112. D'un autre côté le droit public Européen permet encore de recourir à des mesures purement correctives lorsqu'un gouvernement, sans porter atteinte aux principes du droit des gens et aux traités existants, adopte pourtant envers un autre ou tous les autres ou envers leurs sujets des maximes contraires à l'équité (§ 27). L'inégalité dans le traitement de sujets étrangers consistera tantôt dans leur exclusion absolue de certains avantages accordés aux nationaux, tantôt dans des faveurs accordées à ceuxci au détriment des premiers. Quelquefois elle résultera également, même par rapport aux nationaux, de l'application de certains principes contraires à ceux reçus chez les autres nations et de nature à produire pour celles-ci des conséquences matérielles fâcheuses. Dans ces différents cas ce n'est pas à des représailles, mais à la voie de rétorsion qu'on aura recours; c'est-à-dire, dans un esprit d'égalité et afin d'obtenir le redressement de ces iniquités, on emploie envers la puissance qui en commet, des mesures analogues, jusqu'à ce qu'elle consente à y renoncer. 1) Ce qui distingue la rétorsion (retorsio juris) des représailles, c'est que celle-là a pour but de faire cesser des actes d'iniquité (jus iniquum), tandis que celles-ci ont pour objet de réagir contre l'injustice. Elle s'appuie sur cette maxime: „,quod quisque in alterum statuerit ut ipse eodem jure utatur." C'est par là qu'elle fait ressentir à la partie adverse le caractère égoïste et exclusif de ses procédés. 2) La rétorsion peut avoir lieu non-seulement dans les cas où un gouvernement a déjà fait l'application d'un principe préjudiciable à un autre dans certaines espèces, mais aussi dès le moment où il l'a sanctionné. Néanmoins une simple divergence de dispositions dans les lois de deux pays, lorsqu'elles ont seulement l'effet casuel d'exclure les sujets étrangers de certains avan 1) [G. La rétorsion, étant un moyen moins tranchant que les représailles, aurait dû être traitée la première. La rétorsion est destinée à faire sentir à la partie opposée l'iniquité de sa manière d'agir, les représailles tendent à lui infliger un mal spécial ou à se procurer une indemnité. La rétorsion est déjà justifiée quand un État traite les sujets d'un autre moins bien que ceux d'un tiers gouvernement.] 2) J. Gothofr. Bauer, Opusc. t. I, p. 157 seq. tages dont ils jouiraient dans leur propre pays, ne suffira jamais pour justifier des mesures de rétorsion, pourvu que ces dispositions ne soient pas dirigées d'une manière expresse contre les sujets étrangers. Ainsi il est évident que les dispositions d'un code qui établissent des modes ou des ordres de successions particuliers, différents de ceux sanctionnés dans d'autres codes, ne suffiront pas pour motiver des mesures semblables. D'ailleurs la rétorsion est une mesure essentiellement politique, dont les magistrats et les particuliers ne peuvent faire usage qu'en vertu d'une autorisation de leur gouvernement, rendue dans les formes légales, qui détermine en même temps le mode et les conditions de la rétorsion, ainsi que les personnes qui sont appelées à en profiter. 3) Les règles particulières à cette matière sont du domaine du droit public interne. Si les circonstances ne permettent pas d'appliquer à un gouvernement étranger des mesures identiques sur les mêmes objets, la rétorsion s'effectuera par voie d'analogie et selon les circonstances données. Ainsi, par exemple, si le commerce d'un certain pays venait à être frappé dans un autre de droits exorbitants. ou qu'il y éprouvât des difficultés sérieuses, le gouvernement lésé y répondrait en imposant les produits similiaires de droits analogues. Chapitre II. LE DROIT DE GUERRE.D Définition de la guerre. § 113. La guerre se manifeste extérieurement comme un état d'hostilités existant entre plusieurs puissances, pendant lequel elles se croient autorisées à faire réciproquement usage entre 3) Struben, Rechtl. Bedenken V, 47. Spangenb. II, p. 321. 1) [G. Le mot "guerre" est dérivé de l'allemand du moyen âge „werra“, défense.] Les monographies relatives à cette matière, notamment celles publiées par Alberic Gentile, J. Gottl. Fréd. Koch et Joach. E. de Beust, sont elles de violences de toute espèce. C'est la définition matérielle de la guerre. Mais considérée au point de vue légal, la guerre ne sera un droit qu'autant qu'elle présente un état régulier de violences et de destruction, lequel se propose un but légitime, et indiquées par d'Ompteda § 290. 291. de Kamptz § 271. 272. de Clausewitz, dans son ouvrage intitulé: Vom Kriege. Berlin 1832. t. I, p. 105, retrace une histoire générale de la guerre. Comparez aussi N. Villiaumé, L'esprit de la guerre. Principes nouveaux du droit des gens, de la science militaire et des guerres civiles 3. éd. 1864. L'Histoire du droit de guerre et de paix de 1789-1815 par Marc Dufraisse. Paris 1867. P. J. Proudhon, La guerre et la paix. I vol. 1869. Morin, Les lois relatives à la guerre. Paris 1872. v. Revue de dr. intern. IV, p. 481 et 550 ibid. H. Brocher, Les principes naturels du droit de la guerre Essai de la philosophie de la guerre. 1872. Hely, Étude sur le droit de la guerre de Grotius. 1875. E. Nys, Le droit de la guerre et les précurseurs de Grotius. 1882. H. Brocher, Les révolutions du droit. vol II. 1882. Du point de vue politique. P. Leroy-Beaulieu, Recherches sur les guerres contemporaines 1853-66. 1869. Larroque, De la guerre et des armées permanentes. 1866. Une codification du droit de guerre moderne par Bluntschli (Nördlingen 1866) est insérée dans son droit des gens. [G. Cette codification a été vivement et judicieusement critiquée par le général de Hartmann (Militärische Nothwendigkeit und Humanität 1871); mais en regardant erronément les théories de Bluntschli comme étant des règles internationales reconnues, le général, de son côté, passe la mesure et nie le droit de guerre. Le maréchal de Moltke dans sa lettre célèbre à Mr Bluntschli du 11 déc. 1880 parait être du même avis. D'après lui, le moyen le plus sûr de diminuer les horreurs de la guerre, consiste, pour les masses, dans l'éducation et, pour les chefs, dans une loi à la qu'elle ils se conforment autant que le permettent les circonstances de la guerre; enfin dans l'exclusion dans la lutte des moyens condamnables. Quelle sera cette éducation en vue de la guerre, quelle doit être cette loi imposée aux chefs et enfin quels sont les moyens condamnables auxquels il est interdit de recourir? le maréchal ne le dit pas. Mais les raisons que l'on allègue contre l'éxistence d'un droit de guerre sont plus spécieuses que solides. On a dit: la guerre est par elle même la substitution de la force à la justice, elle ne saurait donc avoir d'autres lois que celle du plus fort, „qui armis plus posset" comme disaient les Romains, et il vaut même mieux qu'elle ne soit pas mitigée par des lois restrictives, car plus elle sera terrible, plus elle sera courte et rare, les peuples redoutant les maux de la guerre. Sans doute, la guerre est un appel à la force, mais non à la force libre de toute entrave. Si on repousse en principe tout frein, il sera difficile de prouver qu'il y a des moyens condamnables, on fera flêche de tout bois. Mais comme le droit de faire la guerre dérive de la nécessité de la propre conservation des États, le droit de guerre, c'est à dire, le droit observé dans la guerre établit que l'emploi de la force est limité par le principe même qui le justifie, celui de la nécessité, la guerre ne donne aucun droit qui ne soit nécessaire à sa fin. Si de notre temps les guerres sont devenues plus rares et plus courtes ce n'est certes pas qu'elles soient sans merci; la raison est que |