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assez répandue dans les campagnes, les pères, arrivés à un âge où ils ne peuvent plus travailler, font de leur vivant le partage de leurs biens entre leurs enfants, à la charge par ceux-ci de les nourrir ou de leur servir une pension viagère. Or voici ce qui arrive chez quelques-uns de ces enfants. Leur avarice, surexcitée par la possession du bien qu'ils ont en dépôt, les aveugle bientôt, et dans cet état d'aveuglement ils se croient être en possession complète de ce bien et ne sentent plus l'obligation de servir la pension due à leur père ou de le nourrir. Si celui-ci veut les y contraindre légalement, ils se croient lésés dans leur propriété et volés, à tel point qu'ils adressent à leur père des reproches violents et proférés à différentes reprises, sur sa conduite à leur égard, en l'appelant mème voleur, brigand! (textuel). De là, des haines violentes, des injures et des sévices graves. Ces donations, qui sont une cause fréquente de parricide, devraient être défendues par la loi. En lisant les observations de l'accomplissement de ce crime commis sous l'influence de la cause dont il est ici question, on reste abasourdi devant la profondeur de l'aveuglement moral dans lequel l'avarice a plongé ces enfants mal conformés moralement, et chez lesquels une haine violente, excitée par l'avarice, a fini par étouffer complétement les faibles sentimentsmor aux dont ils pouvaient avoir le germe, et par dominer, absorber leur esprit.

Qu'est-ce que la colère? Un grand poète latin, quelque peu philosophe, l'a parfaitement caractérisée au point de vue psychologique: Ira furor brevis est, a dit Horace. La colère est un court instant de folie. Dans la colère, en effet, l'homme est absorbé, envahi par sa passion violente. Celleci étouffe par sa violence tous les sentiments moraux qui pourraient la combattre, sentiments qui, s'ils étaient présents, feraient luire dans l'esprit la lumière de la raison. Après la période violente, celui qui est doué de sentiments. noraux voit ces sentiments reparaitre dans sa conscience dès que sa passion s'est calmée, et avec ces sentiments

froissés par l'acte violent, le remords et la honte. Alors il forme la résolution de s'observer à l'avenir, de combattre la colère dès son début, avant qu'elle ait absorbé complétement son esprit. Mais celui qui est dénué des éléments instinctifs de la raison reste convaincu, après que sa colère assouvie a cessé, que sa violence a été légitime, rationnelle; il reste aveuglé à l'égard de sa passion, et il n'est point engagé à la prévenir et à la réprimer dès son apparition nouvelle.

En parlant des passionnés en santé qui commettent des actes extravagants ou immoraux dans l'état psychique qui caractérise la folie, on ne manque jamais de dire qu'ils ont la conscience de ce qu'ils font. Cette imputation est basée sur l'erreur que l'on commet en confondant deux choses fort différentes, et que le langage appelle par un seul nom : la conscience. Il est certain que ces passionnés ont la conscience personnelle de ce qu'ils font, et qu'ils le savent. Il est certain également que c'est par leur volonté (issue, non pas du libre arbitre, mais des désirs inspirés par leur passion), et non automatiquement qu'ils agissent. Mais de cette conscience personnelle on ne saurait déduire qu'ils ont la conscience morale de leurs actes, qu'ils en sentent la ridiculité, la perversité au moyen des facultés morales. Sans l'intervention des sentiments moraux, du sens moral surtout, dans la délibération qui précède l'accomplissement de l'acte, il n'y a pas de libre arbitre, et par conséquent pas de responsabilité morale, pas plus chez ces passionnés en santé que chez les passionnés malades, qui, eux aussi, ont la conscience personnelle de leurs actes, mais non la conscience morale. Sans l'intervention du sens moral dans la préméditation de ces actes qui intéressent la morale, lat volonté, soumise à la loi de l'intérêt par le fait de l'absence du sentiment du devoir, est fixée par leur désir le plus grand; les passionnés ne peuvent vouloir que ce qu'ils désirent le plus ou ce qu'ils redoutent le moins, n'ayant aucun motif qui puisse les engager à vouloir différemment.

Si nous passions successivement en revue les actes irrationnels, extravagants, pervers, si fréquents dans l'humanité, et si nous examinions l'état psychique dans lequel ces actes sont accomplis, étude qui nous entraînerait beaucoup trop loin, nous verrions que tous les actes qui, par leur extravagance outrée, par leur immoralité monstrueuse, répugnent essentiellement aux sentiments moraux, sont commis en l'absence de ces facultés instinctives, éléments de la raison et de la liberté morales. Cette proposition peut paraître étrange, bizarre même, parce qu'elle est en opposition avec l'idée que l'on s'est faite jusqu'à ce jour sur ces actes. Bien que cette proposition soit basée sur l'étude de la nature et sur une psychologie scientifique, nous ne demandons point à être cru sur parole. Il nous a fallu à nous-même plusieurs années d'études sérieuses, basées sur les faits, pour bien nous persuader que nous ne nous trompions pas dans nos appréciations, et que nous ne faisions pas fausse route. Nous serions par conséquent mal avisé de demander qu'on adopte nos vues sans examen. Nous réclamons seulement avec instance, au nom de la science et de l'humanité, que nos vues soient examinées sans parti pris d'avance, et critiquées scientifiquement.

Nous ne poursuivrons point, ainsi que nous venons de le dire, l'étude des actes irrationnels et pervers qui appartiennent à l'état moral inconscient caractéristique de la folie morale, dans toutes les variétés que présentent ces actes. Nous avons établi les principes; chacun, en les appliquant à l'étude des divers passionnés, pourra discerner les cas dans lesquels l'aveuglement moral existe, et avec lui l'état de folie, des cas dans lesquels, les sentiments moraux continuant à éclairer l'esprit à l'égard des inspirations passionnées, la raison persiste au milieu de ces inspirations perverses, irrationnelles. Cependant, afin de mieux mettre. notre doctrine en évidence, nous jugeons nécessaire d'étu dier spécialement deux espèces d'aveuglés, d'inconscients au point de vue moral: les fanatiques et les criminels. Les

premiers, mis en général dans l'état de folie morale par des passions énergiques et parfois violentes qui étouffent tout sentiment moral; les seconds, mis dans l'état de folie morale, tantôt par des passions violentes, tantôt par des passions calmes dont l'activité ne ressort à effet que parce que ces passions ne rencontrent aucune opposition morale dans la conscience, par le fait de l'absence plus ou moins complète des sentiments moraux, par le fait d'une idiotie morale qui rend l'homme moralement inconscient, insensible à l'égard de ses désirs monstrueux.

ARTICLE VI.

Étude psychologique sur les Fanatiques.

Avant d'étudier l'état psychique des passionnés moralement aveuglés que l'on désigne du nom de fanatiques, il est nécessaire de présenter l'analyse psychologique du fanatisme, de la passion à l'égard de laquelle ils sont aveuglés.

Le mot fanatisme n'a qu'une signification très-vague, dans les dictionnaires; aussi devons-nous mieux la préciser. Voyons en effet ce que disent du fanatisme, soit le Dictionnaire de l'Académie, soit celui de M. Littré: « Fanatique. Aliéné d'esprit qui croit avoir des apparitions, des inspirations. Il ne se dit guère qu'en religion. Il se dit par extension de celui qui se passionne à l'excès pour un parti, pour une opinion, pour un auteur; il se dit de celui qui a une passion excessive pour quelqu'un, pour quelque chose.» «Fanatisme. Illusion du fanatique, de celui qui se croit inspiré. Il se dit le plus ordinairement d'un zèle outré et souvent cruel pour une religion, ou d'un attachement opiniâtre et violent à un parti, à une opinion. Les excès du fanatisme religieux, du fanatisme de la liberté. »

Si l'on fait attention à l'origine des passions auxquelles

on donne le nom de fanatisme, on verra que cette origine. ne réside point dans un sentiment pervers essentiellement mauvais, comme la cupidité, l'orgueil, l'envie, etc., mais dans un sentiment moral noble et élevé, que son exagération a rendu pervers, irrationnel, immoral, a fait passer à l'état de passion extravagante ou cruelle. Tous les sentiments moraux, qu'ils aient pour base l'égoïsme ou bien la générosité, l'altruïsme, comme le dirait un adepte d'Auguste Comte, peuvent se pervertir, se dévier de la raison par leur exagération, et devenir une source de mal'. On peut citer comme type du fanatisme égoïste n'ayant en vue que l'intérêt personnel, le fanatisme. religieux. Enfanté par l'ignorance et de puissantes passions égoïstes, il est presque toujours excité, soit par les avantages terrestres de fortune, de considération, d'autorité, que l'on a à cœur de conserver et d'augmenter, avantages que l'on soutient et que l'on défend sous le nom d'intérêt divin, et cela, dans un aveuglement moral complet, avec une entière bonne foi, par le fait d'une illusion. inhérente à l'état passionné, et moralement inconsciente, soit par les avantages immenses offerts dans l'autre vie, en compensation des sacrifices passagers que l'on s'impose dans celle-ci. Comine type da fanatisme généreux, nous cilerons le fanatisme politique, lorsqu'il a sa source dans l'amour du bien public, lorsque cette passion fait considérer comme rationnels et licites des actes immoraux, insensés, demandés par la passion pour sa satisfaction, et que ces actes sont accomplis au prix de grands sacrifices, voire même au prix du sacrifice de sa vie.

Les affections peuvent, par leur violence, produire également le fanatisme. L'enthousiasme militaire, bon en lui-même, produit, lorsqu'il est exagéré, perverti,

1 Le mot fanatisme ne devant s'appliquer qu'à des passions dont l'origine est noble, on ne peut pas appeler fanatisme irréligieux, ainsi que nous l'avons lu naguère dans un article inséré dans la Revue des DeuxMondes, la haine exaltée manifestée contre le principe religieux.

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