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sances historiques du lecteur, il résulte que les autorités et les lois ont exercé sur l'évolution sociale une action, tantôt bienfaisante, tantôt nuisible, et ont servi, tantôt d'instruments de liberté, tantôt d'instruments de tyrannie.

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En général la vérité est qu'à l'origine de la vie collective, au sein des unités sociales constituées par des individus qui se considéraient tous comme parents, et auxquels la solidarité et la coopération étaient imposées par la nécessité même véritable produit spontané les lois ne sont venues que fort tard, à la fin du processus évolutif, lorsque, dans l'intérieur du groupe même, s'était produite une certaine inégalité de condition entre les individus, une certaine distinction entre autorités et sujets, entre ceux qui exerçaient la puissance et ceux qui devaient obéir, Ici, la loi (ou ce qui en tenait lieu, l'ordre du chef, les décisions données par lui au nom de la divinité) engendra un état de sujétion inconnu jusque-là et qui fut, par cela même, une cause de maux. Mais elle produisit, même ici, quelques résultats avantageux. Grâce à elle, les éléments sociaux qui commençaient à se désagréger, parce qu'ils avaient perdu peu à peu leur force et ne se souvenaient plus de leur origine commune, purent rester compacts en un temps où la cohésion était grandement nécessaire pour maintenir l'intégrité du groupe et le défendre contre les attaques externes. De sorte que si, d'une part, la loi et l'autorité empêchèrent le libre jeu de l'activité individuelle, elles favorisèrent d'autre part, par cette gêne, l'intérêt commun.

Dans les groupes composés, au contraire, les ordres venus d'en haut, les lois, en tant que mandat émanant du supérieur, commencent à exister bientôt parce que, grâce à elles, on assure la prépondérance des dominateurs sur les dominés et l'exploitation parasitaire de ces derniers. Les lois sont, par suite, dès le début, des armes dont se servent les vainqueurs pour exercer leur tyrannie, et n'ont d'autre but que de créer des privilèges en faveur du petit nombre, au dépens du grand nombre. Mais, avec le temps, les vaincus établissent entre eux et avec les vainqueurs une multitude de relations nouvelles, qui produisent un grand nombre de coutumes; et ces coutumes on ne les considère pas comme venues d'une autorité supérieure et à titre de concession gracieuse, mais comme le

prix des luttes journalières de la vie. Et, en outre, bien qu'elles se meuvent en dehors de l'ordre légal, elles ne sont pas envisagées comme contraires à cet ordre : elles semblent en harmonie avec lui; elles paraissent même avoir besoin d'être protégées par lui, afin que, ni les personnes, ni les autorités ne puissent les méconnaître ou les violer. Les dispositions légales qui, dans la suite, sont édictées dans ce sens, sont une conquête de la conscience populaire, un instrument d'égalité juridique, une garantie de liberté pour les citoyens opprimés.

Dans les sociétés sorties de l'enfance et dans toutes celles qu'on qualifie de civilisées ou d'adultes, les fonctions de l'autorité et de la loi sont, de même qu'à l'origine, tantôt pour quelques-uns, bienfaisantes, tantôt, pour d'autres, préjudiciables. Au surplus, ces mêmes lois et ces mêmes autorités qui commencent par prêter un large concours au progrès finissent par le contrarier ou l'arrêter; et, par contre, celles dont la création ou l'établissement ont marqué un retour en arrière, ont été un moyen d'oppression et, par suite ont été reçues avec hostilité, arrivent à la fin à se transformer en facteurs de progrès social et en défenseurs des libertés des citoyens.

Disons quelques mots de ces différents cas.

Il est fréquent que l'on invoque. comme fondement des lois, des principes de raison et de justice absolue ; il est non moins fréquent que les citoyens réclament pour que les lois traduisent ces principes, et il peut arriver qu'ils viennent à croire qu'elles les traduisent réellement. Cependant, si l'on réfléchit un peu, on parvient à se convaincre que les lois ne sont qu'un simple phénomène social qui, comme tous les phénomènes, représente la résultante de la lutte d'un grand nombre de forces. Dans tout Etat, il existe toujours une multitude d'éléments (classes, castes, ordres, corporations, groupements religieux, politiques, industriels, commerciaux, etc. etc.) dont chacun. cherche à atteindre un but différent (1). Autour de cet Etat, se

(1) « Quelque différents que soient ces groupes, un intérêt spécial les unit ou les sépare; et la diversité de ces intérêts, c'est ce qui fait varier leur caractère : consanguinité, voisinage, langue, religion, possession de biens, entreprises exécutées en commun, expéditions militaires ou navales, défense de privilèges ou lutte contre les privilèges, etc. Les intérêts semblables sont les liens qui unissent chaque espèce de ces groupes contre les autres; groupes qui alors, suivant les circonstances, prennent les noms de tribus, peuples, nations, classes, partis

REVUE DU DROIT PUBLIC.-T. XII.

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réunissent un certain nombre d'individus, constituant une entité indépendante, quelque chose comme un Etat dans l'Etat.

Loin de considérer leurs intérêts respectifs comme solidaires et de croire, par suite, qu'en travaillant pour les autres, ils travaillent également pour eux-mêmes, ces éléments distincts prennent pour guide une conception maladroitement égoïste de ce qui leur est utile personnellement et s'imaginent que ce qui leur est utile ne peut que se trouver en contradiction avec ce qui est avantageux aux autres groupes. Et il est clair que, placés à un point de vue différent chacun d'eux doit forcément se représenter l'adaptation des êtres et des actes aux fins qu'il poursuit, c'est-à-dire la justice, d'une façon qui ne correspond pas à celle des autres. D'où naît une lutte implacable et incessante d'intérêts qui, comme toute lutte, a pour résultat de donner la victoire au plus fort, ou pour parler plus exactement, à celui qui a su le mieux tirer profit des armes qu'il avait à sa disposition pour vaincre son adversaire. Le vainqueur se constitue alors en législateur et impose sa volonté aux vaincus, sous forme de loi. Celle-ci représente, sans doute, a justice, l'adaptation: mais une justice ou une adaptation relative au point de vue des vainqueurs ; jamais une justice ou une adaptation relative au point de vue de tous, dominateurs et dominés, c'est-à-dire, une justice rationnelle et absolue. Aussi il arrive que, chacun érigeant en principe général, en principe applicable à tous, ce qui n'est qu'un principe particulier et personnel s'arroge le droit de définir le juste en soi. Les vainqueurs pensent et disent que la loi qu'ils ont faite correspond aux exigences de la justice rationnelle et absolue et qu'elle est comme celle-ci, immuable, infaillible, inattaquable; aussi poursuivent-ils et punissent-ils comme criminels ceux qui accomplissent ou cherchent à accomplir des actes qui peuvent être considérés comme attentatoires à cette loi. Au contraire les vaincus jugent, de leur côté, que la loi est pour eux un instrument d'oppression, puisqu'elle ne protège que les intérêts de la classe dominante et font entendre des plaintes, au

politiques, et qui sont les acteurs des luttes dont le récit constitue l'histoire ». (L. GUMPLOWICZ: Actions ou phénomènes, page 7, extrait de la Revue des Revues. La même idée se trouve développée dans tous les ouvrages sociologiques et politiques de l'auteur).

nom de la justice absolue et éternelle, contre les irritantes injustices qu'autorise la loi et qu'en son nom commettent ceux qui sont chargés de l'appliquer (1).

La situation légale créée est donc une situation privilégiée pour les éléments sociaux (ils le croient tout au moins) qui ont réussi à imposer leur domination aux autres; mais c'est une situation violente, oppressive pour ceux qui ont été vaincus dans la lutte. Cependant ces derniers finissent peu à peu par s'y habituer; les désagréments qu'elle leur cause sont de jour en jour moins grands et, peu à peu, les angles aigus s'arrondissent et disparaissent totalement; la nécessité de l'emploi de la force de la part des vainqueurs devient progressivement moindre, parce que les vaincus qui, au début, se révoltaient contre l'accomplissement d'ordres venant de la loi, se sont accoutumés à en supporter le joug et sont arrivés à se persuader qu'elle leur sert d'aide et de protection (2); ce qui fait qu'ils en vien

(1) Touchant ce que nous venons de dire relativement au processus de formation des lois et du jugement que se fait d'elles chaque élément social, il n'est pas nécessaire de fournir des preuves concrètes; de quelque côté qu'on tourne son regard, on trouvera des preuves en grande abondance.

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(2) Ce phénomène est très général dans toutes les manifestations de la vie. Les agriculteurs lient les plantes et les arbres de mille manières ; ils empêchent leur développement spontané, et sont, par conséquent, une cause de gène pour leur liberté; mais les plantes et les arbres se plient insensiblement au nouvel état, s'y habituent et finissent par le trouver naturel à tel point qu'au bout d'un certain temps, les liens peuvent se rompre sans qu'il y ait à craindre de voir disparaître le résultat que gràce à eux, on avait cherché à atteindre l'union, donc, qui, au début était forcée, est devenue dans la suite en quelqué sorte volontaire ; et ce qui, tout d'abord était une activité forcée, imposée violemment par une force externe, s'est converti en une activité libre, exempte de toute contrainte, déterminée par la nature propre de l'arbre, par sa nouvelle et spéciale manière d'être. La même chose se passe en ce qui concerne les animaux sauvages, à l'origine ils fuient l'homme comme l'un de leurs plus cruels ennemis ; mais lors. que l'homme s'empare d'eux, les soumet par la force et les emploie à son service, ils finissent par se domestiquer, par voir dans l'homme qui les dompte un protecteur, par trouver acceptable cette soumission et par la rechercher même, prêts à vivre ainsi comme dans leur propre élément. Et le même résultat se produit avec les hommes qui s'adaptent avec la plus grande facilité au milieu de soumission et d'exploitation dans lequel on les place et qui le considèrent comme l'unique milieu qui leur convienne. L'immense majorité des esclaves de tous les temps sont ceux qui ont protesté le moins souvent et avec le moins de force contre l'injustice de leur situation parce que, vivant au milieu de cette situation, ils se sont trouvés les plus mal placés pour ressentir la possibilité et la nécessité de respirer un autre air. Et tous, bien que plus rapidement les uns que les autres, nous nous adaptons, sous peine de succomber, à la nouvelle atmosphère de lois, d'institutions etc., dans laquelle on nous place; et après l'avoir qualifiée d'injuste (non adéquate) et avoir supporté avec répugnance son injustice, nous finissons par avouer que notre situation est moins mauvaise que nous ne l'avions cru, et qu'avec un peu de souplesse, il nous est possible de vivre avec elle, d'une

nent à la considérer comme une condition indispensable à la vie et par croire que celle-ci serait impossible sans elle (1).

La contrainte, d'extérieure, est devenue intérieure, de mécanique est devenue morale, et la garantie que la loi sera obéie et exécutée, ne réside plus principalement dans la crainte du châtiment et dans la puissance des autorités, elle réside dans l'adhésion spontanée du sujet qui comprend que cette obéissance lui est profitable au lieu de lui être nuisible, comme il le croyait auparavant. Un pas encore dans ce processus, et l'exécution volontaire, fille de la délibération et du calcul plus ou moins réfléchis, se change en exécution volontaire déterminée par l'exercice répété, presque automatique, de la même action, c'est-à-dire par l'habitude; l'exécution guidée par l'intelligence et la réflexion devient l'exécution guidée par l'affection et le sentiment (2). Tout bien considéré, les individus auxquels on a imposé la contrainte des lois perdent assurément en liberté et en indépendance, mais en liberté et en indépendance que nous pouvons appeler sauvages; en échange ils gagnent en liberté et en indépendance sociales, en ce sens que la limitation produit chez eux des avantages dont ils ne pourraient pas jouir sans elle, avantages résultant de la solidarité et de la coopération forcée dans laquelle vivent les associés. En réalité, il est difficile de dire ce qui est préférable, ou bien continuer à vivre sans loi, c'est-à-dire sans d'autre règle de conduite que sa discrétion ou sa force, et laisser l'évolution

façon assez supportable (Voir également, touchant ce point particulier Novicow : Les luttes entre sociétés humaines et leurs phases successives. Paris, 1893. Liv. II, Ch. 1, pag. 60-63).

(1) Voir les observations qu'à ce sujet présente M. Hauriou: Le progrés comme forme du bien dans la Réforme sociale V, 1896, pag. 163 et suiv.

(2) Par là, nous ne faisons que constater un fait ; nous ne résolvons pas le grave problème que nous ne discutons pas en ce moment qui a trait à la question de savoir si faire le bien par instinct ou par habitude, être bon et vertueux par nécessité organique, automatiquement est une chose meilleure ou plus mauvaise que de faire le bien et d'être vertueux par réflexion. Novicow, par exemple, pour lequel le progrès consiste à augmenter le penchant instinctif et machinal, parce que, de cette manière, on agit beaucoup plus rapidement qu'avec l'autre moyen, adopte le premier système (Loc. cit.); Guyau, au contraire, préfère le second, parce que, d'après lui, (Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction, Paris, 1885), le progrès humain et moral consiste à détruire les instincts et à transformer tous les actes en actes rationnels, en actes fils de la réflexion, du jugement délibéré. M. Costa me paraît incliner du côté de la première solution; tout au moins c'est ce qui semble résulter de sa théorie sur l'habitude (dans son livre Théorie du fait juridique (en esp.).

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