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table en ceci: GLOSSA IN EPISTOLAS D. PAULI. Norimbergae, Antonius Koburger. 1474. Ce n'est pas nouveau. C'est un livre de Pierre Lombard, le Maître des Sentences. Est-ce parce qu'il est imprimé?

« Vous l'avez dit, répondit Claude qui semblait absorbé dans une profonde méditation et se tenait debout, appuyant son index reployé sur l'in-folio sorti des presses fameuses de Nuremberg. Puis il ajouta ces paroles mystérieuses: Hélas! hélas! les petites choses viennent à bout des grandes; une dent triomphe d'une masse. Le rat du Nil tue le crocodile, l'espadon tue la baleine, le livre tuera l'édifice!

«Le couvre-feu du cloître sonna au moment où le docteur Jacques répétait tout bas à son compagnon son éternel refrain: Il est fou. A quoi le compagnon [Louis XI] répondit cette fois:

que oui.>>

Je crois Là-dessus Victor Hugo emploie un chapitre à expliquer les paroles énigmatiques de l'archidiacre'. Il y voit deux sens:

1) 'l'effroi du sacerdoce devant un agent nouveau, l'imprimerie... l'épouvante et l'éblouissement de l'homme du sanctuaire devant la presse lumineuse de Gutenberg... La presse tuera l'église';

2) l'imprimerie tuera l'architecture'.

Ces considérations historiques, philosophiques et fantaisistes, développées en quinze pages, frappèrent certainement les lecteurs de 1831 et de 1833, car Strasbourg' (c'est-à-dire la cathédrale gothique) et le monde rejetant ses vieux habillements pour se couvrir d'un blanc vêtement d'église'' se retrouveront dans le début de Rolla: Musset se souvient de 'Monsieur Hugo' et du gothique à la mode.

Victor Hugo s'excuse d'abord auprès de 'ses lectrices' de 's'arrêter un moment' pour sonder la pensée de Dom Claude. Nos lecteurs nous pardonneront de même de nous arrêter à la première signification de Ceci tuera cela, la signification restée populaire, et d'examiner la pensée de l'auteur.

Les sources de Notre-Dame sont assez connues depuis les recherches de M. Huguet (Revue d'hist. litt. de la France, VIII, 48; X, 287). L'intérêt du roman est moins dans les textes innombrables feuilletés par Hugo que dans l'imagination à laquelle il s'abandonnait.

Pourquoi, d'abord, avoir choisi comme symbole le livre 'du Maître des Sentences'? L'étonnement naïf de Coictier est assez explicable. Car, à l'époque où nous reporte la scène, il y avait beau jour qu'on imprimait des livres à Paris même, et des livres plus intéressants que celui-là. Mais Victor Hugo est l'homme de 1830, et non de 1482; et les vers célèbres de Musset à Charles Nodier indiquent l'une des principales sources de l'érudition romantique: la bibliothèque de l'Arsenal, où se réunissaient les membres du Cenacle:

1 P. 214 (d'après GLABER RADULFUS).

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Romantique, quand les jeunes amis de

Nodier rendaient l'Arsenal - Matinal',

Hugo portait déjà dans l'âme
Notre-Dame

Et commençait à s'occuper
D'y grimper.

Or, la bibliothèque de l'Arsenal conserve encore, et l'on cite, 1 'parmi les livres vendus par Schoyfer à Paris, un exemplaire de l'ouvrage de Jean Duns: In quartum Sententiarum scriptum, d'une impression attribuée à Koburger, de Nuremberg, vers 1475. L'ouvrage fut acheté par Jean Henri, chantre de l'église de Paris, pour la somme de trois écus. Ce volume, qui a fait partie de la collection du duc de La Vallière, ... porte à la dernière page cette quittance autographe: Ego Petrus Schoeffer impressor librorum Maguntinus recognosco me recepisse a venerabili magistro Johanne Henrici cantore Parisiensi tria scuta quod protestor manu propria. Suit la signature en monogramme de Pierre Schoyfer'. Il est probable que Charles Nodier, grand bibliophile, aura instruit Victor Hugo de tous ces détails, et notamment des impressions de Nuremberg: car à Paris les trois imprimeurs du Soleil d'Or avaient publié aussi le commentaire de Duns Scot: Subtilissimi doctoris Johannis Scoti scriptum in quartum librum Sententiarum Magistri Petri Longobardi. 2

Victor Hugo, qui voyait les choses de haut, a consacré la gloire de Gutenberg et des livres de Nuremberg plutôt que celle de Gering, Crantz et Friburger (qui depuis 1470 imprimaient à la Sorbonne), des Allemands que Louis XI devait naturaliser français. A-t-il au moins interprété exactement les sentiments qu'inspirait la découverte merveilleuse?

Les premiers livres imprimés en France, à partir de 1470, dans l'atelier de la Sorbonne, révèlent en majorité, il est vrai, des tendances humanistes: les épîtres de Gasparin de Bergame, la rhétorique de Fichet, les traités de Cicéron, et d'autres ouvrages, semblaient montrer l'industrie naissante au service de la Renaissance latine. Mais bientôt le nouvel atelier de la rue Saint Jacques commence sa production par le Manipulus Curatorum de Guy de Montrocher (1473), et continue par les traités théologiques de Jean Nider et par la Bible (1476). Comme ce sont des Bibles que Fust était venu vendre depuis longtemps à Paris, comme Gering et Renbolt impriment les sermons de saint Augustin, on songerait plutôt à chercher dans ces incunables les prodromes du protestantisme ou du jansénisme que ceux de la libre pensée. Mais ce qu'il y a de redoutable', ce n'est point le texte, c'est, comme dit Coictier, 'qu'il est imprimé'. Au fond, les imprimeurs, gens modestes dans leur humble réduit, ne songeaient à rien moins

1 A. Claudin, Histoire de l'imprimerie..., t. I, p. 69 (note 2 de p. 68). 2. A. Claudin, ibid., p. 65.

qu'à agir sur l'esprit public. Leurs préfaces et dédicaces sont d'une modestie étonnante, et ils sont ravis de l'hospitalité accordée par Paris, la cité royale, la ville des lumières. Loin de vouloir transformer ou influencer l'esprit et le goût du temps, ils essaient de le servir: leur rôle est exactement celui de copistes plus prompts et moins coûteux. La fameuse légende du procès de sorcellerie fait à Fust provient simplement de ceci: 'Fust apporta à Paris quelques exemplaires de la Bible et les vendit d'abord soixante couronnes au lieu de quatre ou cinq cents que coûtaient auparavant les Bibles sur parchemin. Les premiers acheteurs furent d'abord dans l'admiration en voyant l'exacte ressemblance de tous ces volumes qui ne différaient pas d'un iota et avaient partout le même nombre de lignes et de lettres, ce dont on ne pouvait se rendre compte alors; mais ensuite, ayant appris que Fust, pour se défaire plus vite de sa marchandise, avait cédé sa Bible à cinquante, à quarante couronnes et même à un prix beaucoup inférieur, ils y regardèrent de plus près et se convainquirent que ces volumes avaient été exécutés par un procédé mécanique moins coûteux que la calligraphie; alors, se considérant comme lésés, ils vinrent réclamer au vendeur, les uns la moitié, les autres les trois quarts et quelques-uns même les quatre cinquièmes du prix payé par eux'.1

Rien là donc où ceci tue cela'. Que pensaient les gens plus éclairés que les clients de Fust ou que Gering et Cie? Ils n'ont pas laissé d'apercevoir l'immense portée de l'invention; et, le 30 décembre 1470, Guillaume Fichet écrivait, de la Sorbonne, à Robert Gaguin en lui envoyant l'Orthographia de Gasparin de Bergame: 'Ferunt... haut procul a civitate Maguncia Joannem quemdam fuisse cui cognomen Bonemontano qui primus omnium impressoriam artem excogitaverit... Dignus sane hic vir fuit quod omnes musae, omnes artes, omnesque eorum linguae qui libris delectantur divinis laudibus ornent, eoque magis dis deabusque ante ponant, quo proprius ac presentius litteris ipsis ac studiosis hominibus suffragium tulit. Si quidem deificantur Liber et alma Ceres, ille quippe dona Liei invenit poculaque inventis Acheloia miscuit uvis, haec Chaoniam pingui glandem mutavit arista. At Bonemontanus iste longe gratiora divinaque invenit, quippe qui litteras hujusmodi exculpsit quibus quidquid dici aut cogitari potest, propediem scribi ac transcribi et posteritati mandari memoriae possit. 2 Mais si Fichet parle de

Jean Walchius, Decas fabularum generis humani, Argentorati, in-4o, 1609, p. 181 rapporte ce fait qu'il dit tenir de Henri Schorus, vieillard fort respectabe établi à Strasbourg, qui, d'après la tradition, le tenait luimême de plus âgés que lui. La traduction est d'Aug. Bernard, De l'origine de l'imprimerie, II, 285-6. (A. Claudin, I, p. 67, n. 3).

2 Claudin, l. 1.

-

Le même auteur reproduit des quantités d'éloges (en prose et en vers) décernés à l'imprimerie soit par les imprimeurs soit par les savants.

Gutenberg sur le mode lyrique, à peu près comme Lucrèce parlait d'Epicure, et si même la postérité, les studiosi homines, se sont acquittés de la dette de reconnaissance que leur assigne l'admirateur du Mayençais, nous ne trouvons pas encore trace de la formidable et meurtrière antithèse de 'ceci' et 'cela'.

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Mais tant de gens avaient sous les yeux comme Claude Frollo les cathédrales et les premiers livres imprimés, que l'un ou l'autre devait arriver à faire le rapprochement. Un sujet de Louis XI l'a fait, ce rapprochement, dans un tout autre sens que Victor Hugo. Jacques Gaisser, bibliothécaire de la Sorbonne, compare les impressions de Gering et de son associé Renbolt aux plus beaux travaux d'architecture'. Ainsi, avant la fin du XVe siècle, l'architecture et l'imprimerie sont associées dans la même admiration: Gaisser, comme on voit, ne voit guère aussi loin que son concitoyen Claude Frollo. A Strasbourg, Sébastien Brant, en écrivant vers le même temps son Narrenschiff (1494), semble aussi ne voir dans l'imprimerie qu'un instrument d'instruction qui devrait être s'il ne l'est pas au service des bonnes doctrines: 'Plus les livres augmentent, et moins on a égard aux bonnes doctrines'. Telle est la folie des hommes! Mais ce n'est pas encore la presse qui démolit la cathédrale.

Cent ans après Guillaume Fichet, l'un des plus illustres imprimeurs et savants de la Renaissance, Henri Estienne, faisait à son tour l'éloge de l'art de Gutenberg, et il l'appelait tout simplement le plus grand bienfait apporté dans le monde depuis la Rédemption: Quum autem Germania tantam librorum copiam studiosis litterarum et ingenuarum artium in illa civitate [Francfort] congregat, novum beneficium veteri addit. Cui beneficio? Tanto, ut nulla natio 2 in litteras post partam nobis a Christo salutem tantum contulerit. De eo enim loquor quo typographicam artem excogitavit, excogitata gaudere in sinu noluit, sed cum toto terrarum orbe, summo generis humani bono, communicavit. Una enim eademque opera crassas ignorantiae tenebras discussit ac dispulit, regnantem jam passim barbariem solio suo detrusit proculque fugavit, Musas exulantes reduxit, maximum litteris incrementum ac firmissimum praesidium dedit ...'3 (Francofordiense emporium, 1574). L'éloge, sans soupçonner encore le dualisme hugotique, gagne en ampleur avec les années: et l'opposition des lumières littéraires et des ténèbres (par où les contemporains de Jean de la Pierre, en 1470, entendaient surtout les fautes

Claudin, I, p. 111 et note: 'Une lettre de Gaisser, adressée clarissimis et solertissimis viris Udalrico Gering et Bertoldo Renbolt_artis impressorie architectis primariis, est imprimée en tête de l'édition du 6o livre des Décrétales de Boniface VIII, avec commentaire d'Hélie Régnier, sortie du Soleil d'Or le 30 octobre 1500'.

2 Autre que les Allemands.

3 La foire de Francfort, éd.-trad. Liseux, 1875, p. 80.

des scribes), la révolution opérée par l'imprimerie sera de plus en plus clairement expliquée à mesure qu'on s'éloignera des débuts de l'art.

Les réflexions sur ce sujet prendront naturellement une allure philosophique au XVIIIe siècle; Voltaire, dans son Epître au roi de Danemark, s'écriera: 1

Avant qu'un Allemand trouvât l'imprimerie,

Dans quel cloaque affreux barbotait ma patrie!

A l'époque romantique, le Globe 2 publiera un poème De l'invention de l'imprimerie, où l'effet de l'imprimerie est caractérisé plus violem

ment encore:

Gutenberg apparaît, et, libre de ses fers,
Le génie immortel a repris son empire

...

Ce qui nous ramène à l'histoire romantique et à Hugo. Nous ne suivrons pas la légende poétique de l'imprimerie dans la littérature française, dans les tableaux lyriques d'un Michelet ou jusque dans le drame d'Edouard Fournier, Gutenberg (1869), ni jusqu'aux publications jubilaires de 1900.3 Il suffit de montrer d'où vient, ou d'abord d'où ne vient pas le mot fortuné. Celui-ci ne s'explique point par la véritable histoire des débuts de l'imprimerie à Paris. Il s'explique par le génie antithétique de Hugo et la conception qu'il se faisait de l'histoire. Ce que ni Jean de la Pierre, ni Gaguin, ni Fichet, ni Gaysser, ni Louis XI n'avaient pensé, Victor Hugo le fait dire à Claude Frollo, en faisant bénéficier son héros de l'expérience de trois siècles et demi.

Les romanciers et dramaturges dont Victor Hugo est le chef, considèrent l'historien ou le poète comme le prophète du passé,1 suivant l'adaptation que Mme de Staël a donnée du mot fameux de Fr. Schlegel. Seulement, il y a trois manières d'entendre 'le prophète du passé'; et pour les romantiques français la prophétie a généralement consisté à attribuer aux héros évoqués toute la sagesse et toute la science des auteurs: le Louis XI de Victor Hugo prévoit la Révolution de 1789, Claude Frollo connaît la presse libérale, et Barberousse aura des idées napoléoniennes. Plus que jamais

Was ihr den Geist der Zeiten heifst,"

Das ist im Grund der Herren eigner Geist,
In dem die Zeiten sich bespiegeln.

Mais toute la science de Chevillier, de Nodier ou de Claudin n'aurait peut-être pas créé une de ces paroles qui restent. Il faut aujourd'hui

Voir Th. Süpfle, Geschichte des deutschen Kultureinflusses auf Frankreich, t. I (Gotha, 1x86), p. 27 et 28; et Virg. Rossel, Histoire des relations littéraires entre la France et l'Allemagne.

2 Tome VII, no 68, p. 540, cité par Süpfle, l. c.

Par exemple L. Delisle, A la mémoire de Jean Gutenberg (Paris, 1900). Nous étudierons prochainement cette formule française, dont l'original allemand a aussi fait fortune (Büchmann mentionne: Der Historiker ist ein rückwärts gekehrter Prophet).

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