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n'a pas été perdue pour Shakspeare. On ne le croirait pas, en jetant les yeux sur le premier drame de Marlowe, Tamerlan, ou le Berger scythe, en deux parties, dont l'exposition nous montre plusieurs rois, le mors à la bouche, attelés au char du conquérant, qui les accable de coups de fouet et d'injures déclamatoires. Malgré cette pièce, Marlowe avait un talent hardi, vigoureux, et capable de naturel dans les grandes choses. Échappé d'Oxford pour entrer au théâtre, sa vie, perdue dans les excès de tout genre, fut terminée par un coup de poignard, qu'il reçut d'un indigne adversaire, dans une taverne de village; et sa mémoire resta, dans un siècle religieux, entachée du reproche d'impiété, encore plus que de mauvaises mœurs. Il avait écrit, dit-on, contre la Trinité; mais je ne doute pas que sa renommée d'incrédule n'ait tenu surtout au caractère d'une de ses fictions tragiques. Le Faust de Marlowe, comparé à celui de Goëthe, est moins élégant, moins artistement bizarre, surtout moins ironique; mais ce qui pouvait faire le pathétique d'un semblable sujet, la fièvre du doute dans une imagination superstitieuse, l'audace de l'impiété dans un coeur au désespoir, donnent à cet ouvrage de grands traits d'éloquence. La scène où Faust, touchant au terme de son bail avec le démon, attend son heure fatale, produit une illusion de terreur dont il semble que le poëte ait été obsédé lui-même. « Faust! tu n'as plus qu'une >> misérable heure à vivre; et, après, tu dois être damné » éternellement! Arrêtez-vous, sphères toujours mou>> vantes du ciel; arrêtez-vous, afin que le temps puisse » cesser, et que minuit n'arrive jamais! »

« Les astres suivent leur cours; le temps se précipite; >> l'horloge va sonner; le démon va venir, et Faust sera » damné. Oh! je me sauverai vers le ciel ! quelle main me >> rejette en bas? Regarde sur quel point le sang du Christ » brille au firmament: une goutte de ce sang me sauvera. >> Oh! mon Christ!... ne me déchire pas le cœur pour avoir » nommé le Christ; je veux l'appeler encore. Oh!' épar

gne-moi, Lucifer! Où est-il maintenant? est-il parti ?... » Voilà son bras menaçant, et son visage ennemi. Mon>> tagnes et collines, venez, venez; écroulez-vous sur moi, » et cachez ma tête à la colère du ciel!... Rien!... Je veux » m'enfoncer dans les entrailles de la terre. Terre, ouvre» toi! non... oh! non, elle ne veut pas me recevoir. » Vous, étoiles, qui présidâtes à ma naissance, vous qui » m'avez départi pour lot la mort et l'enfer, attirez vers » vous Faust, comme une vapeur légère pompée dans les » flancs du nuage qui grossit au loin; afin que, lorsque » vous me vomirez dans les airs, mes membres déchirés >> tombent de votre bouche fumante, mais que vous lais>> siez mon âme monter et atteindre aux cieux ! >>

(L'horloge sonne.)

<< Oh! la demi-heure est passée; l'heure entière le » sera bientôt. Oh! si mon âme doit souffrir pour mon » péché, mettez quelque terme à ma punition! que Faust » vive en enfer mille ans, cent mille ans; et qu'à la fin il » soit sauvé! Il n'est point accordé de terme aux âmes » condamnées !... Pourquoi n'es-tu pas un être créé sans » âme? ou pourquoi est-elle immortelle, cette âme que >> tu as? O Pythagore, si la métempsycose était vraie, cette

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>> âme sortirait de moi; et je serais tranformé en quelque » bête brute. Les bêtes sont heureuses; car, à l'instant où » elles meurent, leurs âmes aussitôt se dissipent, et ren>> trent dans les éléments; mais la mienne doit vivre en» core, pour être tourmentée dans l'enfer. Maudits soient >> les parents qui m'ont engendré ! »

(L'horloge sonne minuit.)

« Voilà l'heure! voilà l'heure! Maintenant, ô mon » corps, disparais dans l'air; ou le démon va t'emporter » dans le fond de l'enfer! Oh! mon âme, change-toi en

quelque goutte d'eau, et tombe dans l'Océan, pour » n'être jamais retrouvée ! »

(Le tonnerre éclate, et les Démons entrent.)

Le reste n'est pas indigne de cette scène : çà et là brillent de sombres lueurs qui semblent s'être réfléchies sur Hamlet; et Milton, ce génie original, qui a tant imité, n'a peutêtre surpassé nulle part la définition idéale que Marlowe donne des enfers, dans cet ouvrage tout plein de leur puissance. Faust demande où est l'enfer : « L'enfer, lui » répond Méphistophélès, n'a pas de limites, et n'est >> pas circonscrit à un lieu particulier. Où nous sommes, » là est l'enfer; où est l'enfer, là nous devons toujours » être. Enfin, pour tout dire en un mot, quand l'univers » se dissoudra, et que chaque créature sera jugée, seront >> enfer tous les lieux qui ne sont pas le ciel. »

Marlowe donna aussi l'exemple de l'horreur tragique poussée au dernier degré; et, à cet égard encore, il doit avoir agi sur le caractère du drame anglais dans Shak

speare. Sa tragédie de l'Empire du Vice est un ramas de tableaux hideux, tels que pourrait à peine les rassembler l'imagination artificielle d'une littérature blasée. Marlowe semble se jouer de ces horreurs, en se faisant, comme dit un de ses personnages, « une lyre toute composée d'os» sements de morts espagnols! » Mais, ce qui était plus difficile, et importe plus aux annales de l'art, Marlowe, le fantastique et horrible Marlowe, a su trouver avant Shakspeare les fortes et simples couleurs du drame historique moderne. Sa tragédie de la Mort d'Edouard II ouvre cette source tragique de l'histoire d'Angleterre, où a puisé le peintre de Richard III. La scène de l'emprisonnement d'Édouard, celle de son abdication, celle de sa mort enfin, sont d'une grande énergie; et si, dans ce dernier tableau, la situation ramène le poëte à son goût naturel pour les spectacles de souffrance matérielle et d'angoisse funèbre, il y porte du moins une éloquence pathétique. On nous excusera de citer cette scène.

Le château de Berkley. Le roi est resté seul avec Lightborn.

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Édouard. Qui est là? quelle est cette lumière? pourquoi viens-tu?

Lightborn. Pour vous consoler, et vous apporter de joyeuses nouvelles.

Éd. Le pauvre Édouard trouve peu de consolation dans tes yeux, méchant. Je sais que tu viens pour me

tuer.

Light. - Pour vous tuer, mon gracieux seigneur ! Il est loin de mon cœur de vous faire mal. La reine m'a

envoyé pour voir comment vous êtes traîté; car elle est sensible à votre misère. Et quels yeux peuvent s'empêcher de répandre des larmes, en voyant un roi dans ce déplorable état !

Ed.-Pleures-tu déjà ? Écoute-moi quelque temps, et alors ton cœur, fût-il, comme celui de Gurney et de Matrevis, taillé dans le roc, se fondrait de lui-même, avant que j'aie achevé mon histoire. Ce donjon dans lequel ils me retiennent est une sentine, où les immondices de tout le château se déchargent.

Light.

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Oh, les misérables !...

Éd. Et là, dans la fange et l'ordure, je suis resté debout l'espace de ces dix jours; et, de peur que je dorme, on bat continuellement du tambour. Ils me donnent du pain et de l'eau, à moi qui suis roi! Par le défaut de sommeil et de nourriture, mon esprit est troublé, mon corps engourdi; et je ne sens plus mes membres. Oh! que mon sang ne peut-il sortir goutte à goutte de chacune de mes veines, comme cette eau tombe de mes vêtements souillés! que ne peut-il crier jusqu'à la reine Isabelle, et lui rappeler que j'étais autre, alors que pour elle je courus la joute en France, et désarçonnai le duc de Clermont!

Light. -Oh! n'en dites pas davantage, milord; cela brise le cœur. Couchez-vous sur ce lit; et reposez-vous un

moment.

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Éd. Ces regards ne peuvent rien recéler que la mort. Je vois ma fin tragique écrite sur ton front. Attends du moins quelques moments; retiens un peu ta main san

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