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son idéalité chaste sous la transformation d'une princesse amoureuse. Cette faute, que l'art condamne, dégrada ce beau personnage qu'elle rendit commun et vulgaire.

» L'habile et judicieux Shakspeare l'expose plus dignement en scène; et quoiqu'il ne puisse, dans son drame de Troïlus, l'amener qu'en passant et de côté, toutefois il nous la fait voir au sein de sa famille éplorée, s'efforçant d'arrêter son frère Hector tout armé, tout prêt à livrer on dernier combat, lui présageant sa mort devant Andromaque, devant Priam, et pleurant d'avance à son départ la chute de Troye. Sa divination et ses prières suppliantes rehaussent magnifiquement l'héroïsme d'Hector entraînant par sa seule perte le désastre d'Ilion dont elle voit tomber en lui le plus solide rempart écroulé. N'est-ce pas là précisément saisir le point culminant de sa tragique fable? >> Euripide avait aussi tracé la malheureuse interprète d'Apollon dans le tableau de la captivité des filles de Priam, partagées entre les vainqueurs sur les débris de Troie incendiée. Là, brille le génie du poëte grec par un éclatant contraste. Toutes les sœurs et belles-sœurs de Cassandre gémissent autour de l'inconsolable Hécube leur mère, quand tout à coup cette jeune prophétesse, échevelée, outragée par Ajax, accourt, portant en main des flambeaux consacrés aux fêtes, égarée par le désespoir qu'exprime le délire d'une joie sinistre. Elle danse et chante à haute voix, o hymen! ô hyménée! et s'évanouit dans cette fatale ivresse. Lorsque je voulus reproduire l'originalité de ce rôle, ce mouvement pathétique d'Euripide m'inspira ces

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Vois Ilion fumant, et chante sur sa cendre!

Suis-les au temple; unis ta voix à leurs concerts:
Chante Troie expirée, et ses enfants aux fers.

>> Est-ce une même réminiscence en Shakspeare qui lui inspira le délire chantant qu'il prête à la mélancolique Ophélie exhalant, après la mort de son père tué par son amant Hamlet, une romance, dont les lamentations précèdent l'heure de sa triste mort? ou plutôt n'est-ce pas le fruit de la conformité des idées et des impressions pareilles entre les beaux génies, sans qu'ils se les soient communiquées? J'inclinerais à le penser. Au reste,

Shakspeare a retracé la divine Grecque d'après le dessin de son premier modèle et suivant les signes caractéristiques empreints dans la mémoire par Virgile:

Tunc etiam fatis aperit Cassandra futuris

Ora, Dei jussu non unquam credita Teucris.

et dans cet autre passage de l'Enéide:

Ecce trahebatur passis iameïa virgo

Crinibus, a templo Cassandra adytisque Minerva,
Ad cœlum tendens ardentia lumina frustra,
Lumina, nam teneras arcebant vincula palmas!

>> La difficulté de traduire toute l'expression de ces beaux vers latins, si souvent mal rendus en poésie et en prose française, m'incita jadis à tenter une lutte avec le texte, quand je composai mon poëme des quatre métamorphoses, ouvrage tout plein des traits de l'antiquité.

Cassandre.....

Lève ses yeux qu'en vain enflammait la prière,
Lève ses yeux au ciel; car les Grecs inhumains
Avaient de fers pesants chargé ses faibles mains!

>> Longtemps préoccupé des différents exemples cités ci-dessus, j'en avais étudié, comparé les effets plus ou moins frappants, lorsque j'entrepris de traiter le sujet de la mort d'Agamemnon dont Eschyle nous laissa les lignes principalement graves et monumentales. Loin de m'écarter du plan de ce maître primitif, je pris le soin de m'en rapprocher autant que me le permettait l'ordre de ma composition, et je détachai ma Cassandre des rôles agissants dans les intrigues de la fable, pour que sa face lumineuse en éclairât le fond et en fit ressortir le relief. Le perfectionnement de l'art depuis Sophocle m'interdisant l'usage des chœurs accessoires, me suggéra la pensée de faire contraster la désolation de la captive avec le retour triomphal d'Atride, et de transmettre ses menaces prophétiques en présence même des meurtriers qu'elle désigne et de la victime incrédule qu'elle avertit en vain. Cette seule conception neuve et forte décida le succès de mon œuvre, et le marqua d'un sceau durable.

» Les dernières plaintes qu'exprime Cassandre en déplorant son malheur de n'être jamais crue, et de s'entendre imputer la

folie à chaque prédiction que lui dicte son dieu, signalent complétement le caractère de son infortune, lorsqu'elle dit au fier Agamemnon:

Ah! la fatalité, sur nous deux étendue,
Epaissit le bandeau qui te couvre la vue.
Le cruel Apollon, qui me poursuit toujours,
Rend ainsi les mortels à mon oracle sourds.

Que me sert de porter ces voiles, ces symboles,
Attributs d'un pouvoir qu'il ôte à mes paroles?
Dieu terrible! il est temps enfin de dépouiller
Ces ornements sacrés que ma mort va souiller.
J'ai voulu te sauver; je vais périr moi-même.
La Parque a de tous deux marqué l'heure suprême;
Tous deux on nous immole; et mes restes errants
Flottent sans sépulture, en proie aux noirs torrents.
Déjà, prêt à lever sur nous ses mains impies,

Le crime en ce moment nous dévoue aux Furies.
Demain tu dormiras au lit de tes aïeux :
Souviens-toi de ces mots..... O toi, du haut des cieux
Dérobe à leurs forfaits ta lumière adorée,

Divin soleil, exauce une femme éplorée ;

Punis nos meurtriers, et fais luire sur eux

Le jour de la vengeance accordée à mes vœux !

et à la conclusion de la tragédie, en parlant du jeune Oreste, qu'elle a fait sauver :

Un jour il punira l'assassin de son père;

Un jour lui-même enfin poignardera sa mère.
Fuyez tous le tyran qui commande en ce lieu!.....
Laissez-le à ses fureurs, à ses remords !..... Adieu!
Je précède aux enfers Egyste et sa complice

Et je vais à Minos demander leur supplice.

» Instruit par la réussite à notre théâtre moderne de la singulière physionomie empruntée du vieil Eschyle, j'essayai de la replacer sur la scène, en créant un rôle analogue qui pût animer un sujet du moyen-âge étranger à la mythologie. Ma tragédie, intitulée Beaudoin empereur, tirée de l'histoire des Croisades, me fournit une expérience heureuse; et les applaudissements du public accueillirent sous le nom d'Athanasie la figure d'une sainte veuve, éclairée d'un esprit divinatoire, et

jetant, à l'égal de la fabuleuse pythonisse, une mystérieuse terreur par ses prophéties. On appela celle-ci la Cassandre chrétienne. Ainsi, deux fois j'éprouvai combien il est profitable d'imiter les inventions des grands maîtres, et de leur ressembler autant que possible par de justes analogies. Peut-être est-ce en vertu de rapports comparables que Shakspeare, en créant son sublime et profond Hamlet, s'appropria sous des formes nouvelles l'un des plus terribles sujets antiques, dans lequel son génie fit agir et parler la tristesse de son héros qu'on nomma l'Oreste du Nord. »

NEPOMUCENE LEMERCIER,
De l'Académie française.

TIMON D'ATHÈNES.

TRAGI-COMÉDIE.

Timon, par ses exploits et sa valeur, a délivré sa patrie des ennemis qui s'étaient ligués contre elle. Jouissant d'une fortune immense, il passe sa vie dans le luxe, encourage les artistes, paye les dettes des malheureux, donne de grands festins où figurent le jeune Alcibiade et le philosophe Apèmantus, esprit morose qui ne trouve jamais rien de bien. Timon est loué et encensé à proportion de sa généreuse libéralité. Sa vanité prend pour de bon aloi toute cette monnaie dont on paye ses largesses et ses diners; mais, à force de prodigalité, les coffres de Timon s'épuisent; il engage ses terres et augmente le nombre de ses créanciers. Enfin, son intendant Flavius lui fait connaitre la position fâcheuse où il se trouve. Timon s'adresse à

ses nombreux amis, à plusieurs sénateurs auxquels il a rendu d'importants services; mais les amis qui faisaient tant de belles protestations de dévouement ont disparu, et les services sont oubliés; car, comme dit Horace, quand les tonneaux sont vides jusqu'à la lie, les amis disparaissent; ils trouvent tous des prétextes pour colorer leur ingratitude. Timon, furieux, imagine un moyen de se venger, il les fait inviter à une fête. Les amis reparaissent. Il les fait asseoir à une table dont tous les plats sont couverts; puis leur reprochant leur conduite envers lui, il découvre les plats et leur jete au visage l'eau chaude dont ils étaient pleins; il les chasse de chez lui en leur lançant tout ce qui se trouve sur la table. Désespéré d'avoir été ainsi trompé, Timon s'éloigne d'Athènes, maudissant tous les hommes, et se retire dans une sombre forêt, où il est réduit à creuser la terre pour en arracher quelques racines. Un jour, il y trouve un trésor. Timon aurait pu revenir à Athènes, et, instruit par l'expérience, y vivre plus sage et plus heureux. Mais la haine contre le genre humain le possède; il se contente de prendre quelques pièces d'or. Puis, apprenant qu'Alcibiade, condamné à mort par les Athéniens, vient à la tête de ses troupes pour mettre le siége devant leur ville, Timon lui donne de quoi payer ses soldats. Des voleurs accourent pour enlever son trésor. Comme leur métier est de nuire à l'espèce humaine, Timon leur prodigue ses richesses, et les exhorte à faire aux hommes le plus de mal qu'ils pourront. Ces conseils révoltent les brigands eux-mêmes, qui prennent la résolution de devenir honnêtes gens. L'intendant Flavius, après avoir longtemps cherché son maître, est parvenu à le retrouver; il lui demande la grâce de ne pas le quitter. Timon, touché de cette marque d'attachement, le refuse, et, pour reconnaître son dévouement, il lui donne le trésor qu'il a trouvé, à condition qu'il se bâtira une maison loin de tous les hommes, et qu'il n'aura jamais pitié d'aucun. Des sénateurs d'Athènes viennent ensuite offrir à Timon des honneurs et des dignités, s'il consent à se mettre à leur tête pour repousser Alcibiade; Timon rejette leurs offres et ne veut plus revoir une ville qu'il déteste. Il meurt peu de temps après, et Alcibiade est reçu dans Athènes aux acclamations du peuple. La vanité avait fait de Timon un dissipateur; le même sentiment blessé et trompé en fait un misanthrope :

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