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demain comme hier. Vous ne pouvez avoir aucun doute à ce sujet. Quand je vois l'Europe se contenter si facilement des promesses du sultan qui ne les a jamais exécutées, je me rappelle le mot de notre honorable collègue de Pressensé, dans une réunion récente : les Puissances de l'Europe sont autour de la Turquie comme autant de médecins tant pis et de médecins tant mieux, qui en même temps que médecins sont des héritiers présomptifs.

Je ne peux pas oublier que la Russie a toujours eu - il paraît qu'aujourd'hui elle est moins empressée des visées sur Constantinople, que l'Angleterre, qui a pris l'Egypte d'une façon provisoire, ne demande qu'à la garder et qu'elle espère qu'un démembrement de la Turquie lui assurera celte possession définitive; que l'Autriche voudrait bien suivre son chemin de fer jusqu'à Salonique; enfin, il paraît que l'Italie elle-même, vous le savez mieux que moi, Monsieur le Ministre, fait les yeux doux à l'Albanie.

Tous ces héritiers présomptifs sont de mauvais médecins, et quand je vois leur attitude à l'égard de la Macédoine, comme à l'égard de l'Arménie, je me demande si leur facilité à accepter les promesses du sultan ne cache pas des arrière-pensées.

Dans tous les cas, si, comme je le crains, tout en espérant que cela ne sera pas réalisé, la sécurité, la liberté et la vie des habitants de la Macédoine sont menacés, vous n'avez pas le droit, Monsieur le Ministre, d'oublier que vous leur devez aide et protection. Vous leur devez, non seulement parce que ce sont des peuples opprimés, non pas seulement parce qu'étant faibles, ils demandent aux forts de les soutenir, mais surtout parce que c'est la France avec les autres nations, qui a créé cet Empire

turc.

C'est vous qui l'avait fait tel qu'il est et vous êtes par conséquent responsable des crimes que les Turcs peuvent commettre, puisque vous leur avez confié, à eux les loups, la garde d'agneaux qui ne peuvent se défendre.

Je sais bien, Monsieur le Ministre, que vous vous retrancherez derrière le concert européen : « Je fais ce que je puis, direz-vous, et j'attends d'être mis en demeure pour agir. » Mais, encore une fois, n'oubliez pas que, non seulement vous avez le droit de surveiller ce qui se passe en Turquic, mais qu'il vous appartient de prendre une initiative, parce que la France a été la première à s'associer à cette consolidation de l'empire turc. Et pourquoi ? Pour maintenir la paix en Europe; mais, hélas! c'est juslement de cette constitution d'empire que nous est venue guerre et révolte.

Il n'est en effet aucune nation, aucun pays, qui n'ait provoqué plus de congrès, de conférences, de difficultés et même de guerres que la Turquie depuis que la France et les autres nations ont constitué l'empire otto

man.

Dans ces conditions, prenez garde, Monsieur le Ministre, je sais bien, à vous entendre, que ce que vous voulez, c'est la paix; or, nous la voulons tous.

Oui, nous voulons tous la paix; mais il ne faudrait pas, sous ce prétexte, déchaîner la guerre, et c'est là ce que je crains. Plus en somme nous emploicrons des moyens pou hardis vis-à-vis de la Turquie, plus nous risquons d'aller à l'encontre du but poursuivi.

Je n'ai pas besoin de vous rappeler les évènements actuels qui se déroulent dans l'empire turc, vous les connaissez mieux que moi :

Déjà le ministre de la guerre de Bulgarie vient de donner sa démission, parce qu'on refusait de lui accorder les 8 millions qu'il demandait comme éventualité de guerre.

Avant-hier, le prince Alexandre de Serbie ne disait-il pas à ceux qui l'entouraient à l'occasion de l'anniversitaire de l'indépendance serbe: <«< N'oubliez pas qu'il faut vous préparer à verser votre sang pour la défense de la patrie. » ?

Ne sont-ce pas là des symptômes inquiétants et que nous ne pouvons négliger? Plus vous laisserez la Turquie libre d'agir, plus vous lui accorderez de facilités pour s'exécuter, plus vous lui laisserez espérer un désaccord entre les nations et moins vous obtiendrez quelque chose d'elle.

Vous savez bien cependant comment il faut lui parler, Monsieur le Ministre des Affaires étrangères; ce n'est pas la première fois que vous avez affaire à elle. L'année dernière vous lui avez, dans une question moins grave que celle-ci, dicté vos conditions. Il s'agissait de la créance Tubini et Lorando; et vous n'avez pas hésité ce jour-là, vous avez mobilisé une escadre qui est allée braquer ses canons sur Mitylène. Immédiatement le sultan a acquiescé à tout ce que vous exigiez de lui; vous ne vous êtes pas contenté des réformes promises, vous ne vous êtes même pas contenté de bons qu'on vous offrait de signer, vous avez voulu de l'argent comptant et vous l'avez obtenu.

Je voulais, mon cher col

M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES. lègue, l'exécution d'arrêts de justice, pas autre chose.

M. Georges BERRY. Mais croyez-vous que le traité de Berlin n'ait pas autant d'importance que les arrêts de justice? Quelle différence faitesvous entre les deux, et trouvez-vous l'intérêt qu'offre le traité de Berlin inférieur à celui que présentent les arrêts de justice relatifs à des questions pécuniaires?

M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES. Il y a cette simple différence dans le premier cas, il s'agissait d'une cause purement française qui ne regardail que nous et la Turquie. Dans le deuxième cas, la cause est européenne. Quant on réclame l'exécution du traité de Berlin, on soulève une cause européenne, et la France n'est pas obligée et elle n'a pas intérêt à se substituer seule à l'Europe tout entière.

M. Georges BERRY.

des initiatives.

Sans doute ! Mais vous aviez le droit de prendre

M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES. naissiez que je les avais prises.

Tout à l'heure vous recon

M. Georges BERRY. Oui, Monsieur le Ministre, vous avez pris des initiatives, mais je trouve que, depuis, vous vous êtes effacé complètement et je vous demande aujourd'hui ce que sont devenues ces initiatives d'antan. Je trouve qu'elles ont été oubliées et qu'à l'heure actuelle vous n'êtes plus ce que vous étiez il y a quelques mois, permettez-moi de vous le dire. D'ailleurs, si j'ai parlé de la question Lorando, je sais que ce n'est pas seulement pour Lorando que vous êtes allés faire une démonstration à Mitylène; c'est pour des journalistes, pour des hommes politiques. Il paraît que tout le monde a touché dans cette affaire; on dit mème que c'est jusqu'à 25 ou 30 p. 1oo qui ont été donnés à ceux qui se sont occupés de négocier cette affaire. Je sais bien qu'on ne peut pas vous en demander compte.

M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.

Et vous avez raison ; il y a des choses que je n'aime pas, surtout celles qui sentent mauvais.

M. Georges Berry. Assurément cela ne vous concerne pas, Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, mais permettez-moi de vous dire qu'il est regrettable que la flotte soit partie pour Mitylène après la publication de certains articles poussant à cette expédition.

M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRes. On ne devrait pas parler de cela à la tribune.

M. Georges BERRY. Vous connaissez aussi bien que moi cette affaire, vous avez lu les débats devant les tribunaux. Mais je ne vous mets pas en cause, croyez-le bien.

Et puisque nous parlons de cette expédition, je rappelle que, quand l'escadre est arrivée dans les eaux de la Méditerranée il y a eu, dans les populations chrétiennes, un accès de joie. Tout le monde a cru que la France venait pour apporter secours aux chrétiens d'Orient. Quelle fut leur désillusion quand ils apprirent pourquoi cette escadre avait été mobilisée et de quelle façon elle s'en retournait.

M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES. Monsieur Berry, vous qui avez suivi avec une si grande attention toute cette période, comment n'avez-vous pas constaté qu'avant que nos bateaux eussent quitté Mitylène, le sultan avait reconnu l'existence légale de 574 établissements français ? M. Georges BERRY. M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈres. On ne pouvait pourtant pas demander de reconnaître l'existence d'un plus grand nombre d'établissements, puisqu'il n'en avait pas davantage !

Ce n'était pas suffisant.

M. Georges BERRY. On avait promis, dès 1882, de réaliser des réformes touchant la Macédoine et l'Arménie; pourquoi ne les avez-vous pas fait exécuter ? Pourquoi n'avez-vous pas pris l'initiative de l'exécution de ces réformes, puisque vous aviez fait à ce moment une démonstration qui pouvait bien vous autoriser à prendre cette initiative ? Vous ne l'avez pas fait, et c'est là ce que je regrette.

Je termine. Je suis très embarrassé, messieurs, et vous comprendrez pourquoi. Je me trouve en présence, non seulement de M. le Ministre des Affaires étrangères, mais en présence de l'Europe que je ne peux pas interpeller.

Je ne vous demande pas assurément de reprendre les traditions du passé; vous en parliez il y a un an, ici-même, avec beaucoup d'éloquence, nous ne pouvons pas y revenir.

La Belgique et l'Amérique qui nous doivent leur indépendance ne s'en souviennent même plus ; et nous n'avons pas les moyens de faire aujourd'hui ce que nous avons accompli à cette époque. Mais croyez-vous cependant qu'il ne nous soit pas possible de faire quelque chose, malgré notre situation actuelle, malgré nos divisions intestines, malgré la guerre religieuse qui a éclaté dans notre propre pays, tout comme en Turquie, et qui nous empêche d'avoir à l'extérieur l'action que nous y devrions exercer. Ne protestez pas quand je constate les efforts que nous faisons en vue de faire appeler les chrétiens de l'Empire turc à toutes les fonctions d'Etat, je ne m'étonne plus de la difficulté que l'on éprouve à obtenir cette mesure de simple justice, alors que le Gouvernement français est près

d'excommunier, de jeter hors du fonctionnarisme, tous ceux qui ne sont pas de la religion d'Etat.

Je vous disais, Messieurs, que je ne pouvais demander à la France de revenir à ses traditions anciennes; nous ne pouvons plus exiger d'elle qu'elle aille au secours des faibles et des opprimés comme autrefois. Mais nous avons laissé là-bas, dans l'Orient, des souvenirs illustres ; nous avons conquis par nos ancêtres un héritage d'affection que l'Orient nous voue. Allez-vous laisser péricliter cet héritage? Allez-vous nous faire oublier? Enfin, reprenant la pensée que j'exprimais tout à l'heure, je dis que la France doit se souvenir qu'elle est responsable de ce qui se passe en Turquie, puisque c'est elle qui, avec les autres nations, a constitué l'Empire turc. Ce n'est pas vous, Monsieur le Ministre, vous n'étiez pas encore né, et quand je mets la France en demeure de se souvenir, c'est le Gouvernement que je vise, car je ne sépare pas l'un de l'autre. Vous ne pouvez pas, messieurs, ne pas les confondre devant l'étranger.

Monsieur le Ministre, vous assumez là, je ne dirai pas une responsabilité, le mot n'est pas assez fort, mais une complicité; non vous ne pouvez pas, par votre inaction, laisser croire que vous n'êtes pas du côté des victimes je n'ose pas dire que vous êtes avec les assassins!

Vous ne pouvez pas, vous, Gouvernement français, continuer à laisser sans agir la tache de sang s'étendre des rivières de la mer Noire à ceux de la Méditerranée. Vous ne pouvez pas vous faire le complice du sultan rouge, comme on l'appelle si justement, vous ne pouvez pas surtout, quand on égorge et quand on pille en Europe, avoir l'air de ne pas oser élever la voix sans avoir obtenu la permission de l'Italie, de l'Autriche ou de la Russie.

M. LE PRÉSIDENT.- La parole est à M. Delafosse.

M. Jules DELAFOSSE. Messieurs, l'interpellation que j'adresse à M. le Ministre des Affaires étrangères a un objet précis et limité; elle sera par conséquent très courte et ne vous demandera que quelques instants d'at

tention.

Je désirerais savoir de quelles vues s'inspire la politique que nous faisons au Maroc et à quelles fins elle tend.

Cette question du Maroc n'est pas précisément nouvelle, bien que le débat d'aujourd'hui procède d'événements récents; elle date pour nous du jour où nous sommes devenus les maîtres de l'Algérie et, depuis cette époque, elle est restée posée en quelque sorte à l'état chronique par l'anarchie habituelle où vivent les tribus de cette région, et aussi par les intrigues, les menées, les ambitions étrangères qu'alimente et favorise un pareil état de choses.

Je n'apprends rien à personne, assurément, en disant que ce qu'on appelle l'empire marocain est une pure fiction.

Cette appellation d'empire suppose ordinairement un état organisé, un gouvernement reconnu, respecté, obéi, possédant l'autorité et l'exerçant sur toute la surface du territoire sans contestation sérieuse. Il n'y a rien de pareil au Maroc. Ce pays n'est qu'une juxtaposition de tribus insoumises, indisciplinées, toujours prêtes à la révolte, s'ignorant à peu près les unes les autres, ou ne se connaissant que pour se combattre ou se piller réciproquement.

Il y a cependant une famille dynastique qui tient de l'antiquité de ses origines et aussi de la tradition religieuse une sorte de titre au gouverne

ment. Lorsque le représentant de cette famille est, comme le sultan d'hier, un homme d'action énergique, vigilant et adroit, il parvient tant bien que mal à faire respecter son autorité. Mais lorsqu'il n'est, comme le sultan d'aujourd'hui, qu'un jeune homme inconsidéré et frivole, épris de nouveautés européennes, surtout des nouveautés les mieux faites pour choquer le sentiment national, et aussi le fanatisme religieux de ses peuples, il est naturel que ces imprudences de conduite provoquent des rébellions; c'est l'histoire des soulèvements qui agitent en ce moment le Maroc.

Ces soulèvements trop fréquemment répétés ne sont pas sans danger pour nous. Ils peuvent, en effet, avoir leur contre-coup sur les populations algériennes el propager chez elles, par contagion, l'esprit de révolte. Ils peuvent aussi, ce qui est infiniment plus grave à mes yeux, donner ouverture aux interventions européennes. Car vous savez tous que tout pays livré aux guerres intestines finit presque toujours par devenir la proie de l'étranger.

Or, le Maroc, grâce à sa situation géographique, qui est incomparable, serait une proie d'élection pour certains Etats d'Europe; de là viennent les convoitises ardentes dont il est l'objet. L'Italie a longtemps rêvé, et rêve peut-être encore de s'en faire une colonie. L'Espagne, qui a déjà pied sur le rivage qui lui fait face considère la région du nord comme une sorte de prolongement de son propre territoire, et a jeté depuis longtemps son dévolu sur elle. L'Allemagne a négocié il y a quelques années l'acquisition sur le littoral de l'Atlantique, d'une enclave pour sa marine de commerce et pour sa marine de guerre.

Quant à l'Angleterre, qui a toujours les yeux ouverts et les mains tendues sur les pays où il y a quelque chose à faire ou à prendre, elle a su faire pénétrer, en ces derniers temps, au Maroc des influences tellement habiles et tellement puissantes qu'elles avaient fini pår absorber le gouvernement lui-même.

Je ne parle pas, bien entendu, d'une intervention officielle du gouvernement britannique; je parle d'influences exercées par cette sorte de gens que M. Rouher appelait autrefois des individualités sans mandat : commerçants, courtiers, aventuriers, missionnaires, tous gens que n'inspire pas, que ne dirige pas la diplomatie anglaise, dont elle n'est pas responsable, mais dont elle sait utiliser les œuvres el qui sont, en somme, les pionniers ordinaires de ses conquêtes futures.

Eh bien, messieurs, j'estime que ces phénomènes ne sont pas négligeables et qu'ils méritent notre attention. Ils rappellent, s'ils ne les reproduisent pas, les commencements de l'intervention anglaise en Egypte.

J'ai eu l'honneur, il y a un peu plus de vingt ans, de dénoncer ici même le système d'accaparement que l'Angleterre exerçait sous le couvert du condominium anglo-français et qui devait presque fatalement la conduire à l'occupation définitive et aboutir à notre propre éviction.

C'est un avertissement de même nature que j'apporte à la tribune aujourd'hui. Je ne voudrais pas que telle ou telle puissance pût recommencer au Maroc l'aventure qui a ŝi mal tourné pour nous en Egypte.

Mais je ne voudrais pas non plus que l'on pût se méprendre sur ma pensée, et je serais très sincèrement désolé que le langage que je tiens à cette tribune pût être interprété comme une agression préméditée contre l'Angleterre.

Si légitimes et si fortes, messieurs, que soient nos rancunes contre la politique anglaise qui nous a valu en ces derniers temps de si douloureux

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