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Telle est, vous ne l'ignorez pas, messieurs, la thèse du parti socialiste, et il a maintenant bien des alliés dans cette lutte.

Parfaitement.

M. D'ESTOURNELLES. M. MARCEL Sembat. Il a notamment des alliés très puissants: il a les ministres des finances de chacune des nations européennes, et l'instant n'est pas loin où, au nom de l'équilibre du budget, dans tous les Parlements de l'Europe, une voix autorisée s'élèvera, celle du ministre des finances, pour faire constater qu'il est désormais impossible de continuer à gaspiller le plus clair des ressources de tous les pays, dans des dépenses improductives, destinées non à assurer la vie et le bien-être des hommes, mais à préparer la mort et la guerre.

Chimère! nous dit-on. Vous êtes des utopistes ! On ne peut supprimer la guerre !

Oh! ne nous illusionnons pas sur la possibilité actuelle de supprimer la guerre; nous savons très bien qu'une société basée sur la guerre économique, sur la lutte commerciale, sur la concurrence, ne peut guère espérer la disparition de celle forme plus sanglante, plus brutale de la lutte qui est la guerre déclarée. Nous ne croyons pas qu'aucun gouvernement, qu'aucune initiative de dirigeants des sociétés capitalistes puisse jamais aboutir à supprimer tout à fait la guerre en période capitaliste. Mais n'est-ce rien que de la rendre plus rare, d'en diminuer la fréquence? N'est-ce rien que de faire désirer aux peuples sa disparition totale et de la préparer ?

Nous considérons comme notre devoir absolu d'encourager, de soutenir toutes les initiatives qui se produisent en ce sens, et nous croyons que la première obligation qui s'impose à tous ceux qui parlent aujourd'hui dans un Parlement européen, et notamment dans le Parlement français, c'est de proclamer toujours que la guerre est une cause de ruine pour les peuples, d'écrasement pour les finances des nations européennes d'infériorité. - pour l'Europe, par suite, en face des Etats-Unis d'Amérique enfin, qu'elle constitue la honte de l'humanité en même temps qu'une charge écrasante pour tous les citoyens de tous les pays.

J'aborde maintenant les points particuliers sur lesquels je voudrais attirer l'attention de la Chambre.

Je demande à M. le ministre des affaires étrangères, qui nous a fait distribuer hier un Livre jaune sur l'évacuation de Shanghaï, de nous donner de plus amples renseignements sur la situation dans l'Extrême-Orient.

Je crois que jamais l'heure n'a été plus propice pour en parler. Il est impossible, en effet, d'en parler de sang-froid et avec l'esprit en reposje l'ai éprouvé par moi même lorsque l'insurrection a éclaté et que nous avons des compatriotes exposés à la fureur des insurgés chinois. Mais à présent qu'il n'y a pas conflit violent, je voudrais demander si nous prenons toutes les précautions pour ne pas provoquer d'insurection en Chine et pour ne pas placer la France dans une position périlleuse, vis-à-vis des autres nations en Extrême-Orient.

La Chambre n'ignore pas qu'un traité a été signé entre l'Angleterre et le Japon. Une situation grave se trouve ainsi créée dont nous pouvons avoir à supporter un jour les conséquences.

Ne croyez-vous pas, messieurs, que la situation respective de la Russie et de la France impose à la France, en Chine plus qu'ailleurs, une prudence particulière? N'est-il pas à craindre qu'un jour nous ayons à subir

le contre-coup d'une guerre entre le Japon et l'Angleterre d'une part et la Russie de l'autre ? Dans l'intérieur de la Chine, est-ce que ce mouvement boxer, très limité au moment de l'insurrection qui eût pu cependant être si redoutable, ne paraît pas à l'heure présente changer de caractère ? Estce qu'il ne devient pas plutôt une sorte de vaste insurrection nationale chinoise contre l'étranger? Est-ce que les effets des traités que nous avons imposés à la Chine, est-ce que l'augmentation d'impôts qui en résulte n'entretiennent pas en Chine une fermentation inquiétante? Le fait d'avoir, en pleine capitale chinoise, installé autour des ambassades, des fortifications et tout un système de forts et de casemates derrière lesquels sont retranchés les ministres européens, n'est-il pas de nature à affaiblir singulièrement la puissance de la Chine et à diminuer chez le peuple chinois l'autorité de la dynastie mandchoue?

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Je pense, pour ma part, que la politique française en Chine doit être, pour le moment car, ainsi que le disait hier M. de Pressensé, il n'y a rien d'éternel en parcille matière, il y a des phases successives — je crois, dis-je, que dans ce moment-ci, la politique française en est à ce que j'appellerai j'applique à la Chine ce qu'on disait hier de la Turquie phase d'intégrité. Je crois que nous devons nous imposer comme loi et comme règle de notre politique, de maintenir réuni ce grand corps de l'empire chinois, et j'estime que nous commettrions la plus lourde des fautes en affaiblissant la dynastie : nous déchaînerions l'anarchie intérieure la plus terrible, en même temps que les convoitises étrangères et, nous risquerions d'avoir en face de nous un problème d'Orient à la centième puissance, d'où pourraient surgir bien des complications européennes.

J'ai dit qu'en ce qui concerne l'Arménie et la Macédoine, je ne reviendrai pas sur les explications si complètes données par M. de Pressensé. Cependant notre collègue me permettra de lui dire que je n'irai peut-être pas aussi loin que lui dans les procédés comminatoires à employer en la circonstance.

Il m'a paru, en l'écoutant et en relisant son discours au Journal officiel, qu'il serait assez partisan d'une action armée venant de la France, fût-ce même une action isolée, analogue par exemple à celle qui nous a menés à Mitylène. Pour ma part, je crois qu'il serait un peu dangereux, fût-ce pour la cause la plus noble, fût-ce pour la défense et l'affranchissement des Arméniens et des Macédoniens, d'avoir une initiative isolée de ce genre. M. FRANCIS DE PRESSENSÉ. Je partage absolument votre manière de voir. Je n'ai nullement voulu parler d'une action isolée de la France. J'ai voulu parler je croyais l'avoir indiqué d'une action semblable à celle qui a été exercée en Crète.

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M. MARCEL SEMBAT. C'est que vous aviez parlé aussi de Mitylène. M. FRANCIS De Pressensé. J'avais limité l'un des exemples par l'autre. Je souhaitais qu'on ne repoussât pas le principe de la pression à exercer à certains moments, non pas au nom de l'unanimité des puissances, qui est chimérique, mais au nom de celles des puissances qui, dans ce cas, voudraient se joindre à la France.

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M. MARCEL SEmbat. Je suis tout à fait d'accord avec M. de Pressensé. Je crois qu'il ne faut pas rechercher l'accord unanime du concert européen, mais ce qui s'est passé pourrait pour la Crète avec fruit se répéter au besoin en ce moment.

Ce que je tenais à signaler, c'est que, même pour la plus noble des causes, nous ne pouvons pas autoriser une action isolée comme celle de Mitylène, attendu qu'à ce moment il aurait suffi de l'agression d'un soldat turc ou d'un de ces timariols, moins soldats que brigands, pour déchaîner une guerre avec la Turquie, avec peut-être un retentissement européen qu'il devenait impossible de limiter.

J'espère que M. le ministre des affaires étrangères poursuivra en Macédoine et en Arménie, une politique d'ensemble, une politique liée, qu'il s'appliquera à ne pas laisser régler isolément la question de la Macédoine, mais qu'il tiendra à ce que la question d'Arménie reste également posée et imposée aux préoccupations du sultan.

Pour terminer, je voudrais signaler à M. le Ministre des affaires étrangères l'une des conditions essentielles de toute action libre de notre diplomatie, de son prestige devant l'Europe et, par conséquent, de l'efficacité finale d'une action politique quelconque entamée au nom de la France.

Toute action de ce genre est menée par le Gouvernement français au nom de l'opinion publique française. Il importe donc, pour que l'action de notre diplomatie et de notre ministre des affaires étrangères soit appuyée sur une opinion publiqne sincère et non sur une opinion publique artificiellement préparée, il importe d'avoir les yeux ouverts sur les influences d'argent et sur leur rôle en matière de politique étrangère.

Si j'aborde à la tribune un pareil sujet, c'est parce qu'il est trop tard maintenant pour fermer les yeux. Il est impossible, devant les faits qui se sont révélés récemment, de méconnaître qu'à certains moments il peut être facile, soit à un pays étranger, soit à des particuliers intéressés dans des questions d'ordre diplomatique, d'agir sur l'opinion publique française et cela dans un sens qui peut être opposé et éminemment préjudiciable à l'action de notre diplomatie.

M. JAURÈS. Très bien ! très bien !

M. MARCEL SEMBAT. On a cité récemment plusieurs exemples. Le premier, par ordre de date, est celui qui concerne les négociations pour le traité du Siam.

Nous avons appris un beau jour que, venu dans son pays, l'un des négociateurs de ce traité avait présenté à son Gouvernement un compte de dépenses assez élevées, dépenses qui se justifieraient par des largesses, des libéralités, des dons d'argent destinés à fabriquer artificiellement une opinion française favorable à tel ou tel traité.

Je n'apprécie pas le traité du Siam ; il ne nous est pas soumis. Je ne sais même pas si, à l'heure actuelle, il y a encore un traité avec le Siam, et si la commission qui était chargée de l'examiner a encore un objet précis à ses travaux. Par conséquent, je serais bien mal venu à examiner au fond le traité du Siam.

Je remarque simplement qu'un personnage important du gouvernement siamois a pu prétendre publiquement qu'il avait dépensé des sommes considérables pour préparer l'opinion publique française à un traité favorable au Siam. J'ajoute que, lorsqu'il était parti de Bangkok, tout le monde savait qu'il emportail de l'argent destiné à cet usage, et les lettres particulières que chacun de nous pouvait recevoir des Français fixés au Siam ne laissaient pas de doute à cet égard. Très probablement les rapports des agents français au Siam ont dû en porter la trace et ainsi M. le ministre des affaires étrangères en a, je n'en doute pas, été averti à temps.

Voilà donc un premier point sur lequel une explication est d'autant plus nécessaire qu'on a un peu répondu par avance, mais répondu à côté. On a dit: Mais pardon ! Phya-Sri n'était pas le négociateur du traité, c'est Phya Suria qui l'a négocié et signé ; Phya-Sri n'était rien.

En pareille matière, il y a très souvent le titulaire, l'homme qui négocie le traité et, à côté, l'agent utile qui prépare les négociations de ce traité et qui, si vous voulez me permettre l'expression, met un peu d'huile dans les rouages. Il ne faudrait pas, par conséquent, se contenter de nous faire remarquer que la signature du corrupteur éventuel ne figure pas au bas du traité. La réponse ne serait pas tout à fait suffisante.

Je passe à un autre ordre de faits qui se rattache, celui-là, à des débats qui ont eu lieu devant les tribunaux. Voici la Gazette des Tribunaux du 5 mars 1903. Je lis dans la chronique :

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« Cette même chambre (la 1 chambre de la cour) a été également saisie de l'appel d'ordonnances de référé rendues par M. le président du tribunal civil de la Seine et intervenues entre MM. Lorando et consorts et M. Courmes, en novembre 1902 et janvier 1903.

« M. Courmes, se prétendant créancier de MM. Lorando et consorts d'une somme importante, représentant une commission que ceux-ci lui auraient consentie sur les sommes qu'ils devraient toucher comme montant des traites payées ou à payer par le gouvernement ottoman, leur débiteur, a fait opposition entre les mains du chancelier du consulat de France à Constantinople sur le versement de ces sommes aux bénéficiaires.

» Ceux-ci ont alors saisi M. le président du tribunal civil de la Seine, d'une demande afin de toucher lesdites sommes, malgré l'opposition de M. Courmes.

» M. le président ayant limité les effets de la saisie-arrêt à une somme déterminée, M. Courmes a interjeté appel des ordonnances de référé rendues à ce sujet.

>> A l'audience du 25 février dernier, M° Tézenas a plaidé pour M. Courmes, Mo Rousset pour les consorts Lorando, et M• Noilhan pour un intervenant, M. de Germiny.

» Aujourd'hui, M. l'avocat général Lombard a donné ses conclusions tendant à faire déclarer qu'il n'y avait lieu à référé ou, en tout cas, que le juge des référés de la Seine était incompétent pour statuer sur la demande de M. Courmes, qui eût dû être soumise à la juridiction compétente de Constantinople. >>

C'est un ironiste, M. l'avocat général Lombard. En effet, cette question aurait dû être soumise à la juridiction de Constantinople. Il serait beaucoup plus naturel que les affaires de ce genre se réglassent dans le milieu même où ont pris naissance les créances Lorando et Tubini. Ce sont là des affaires de même ordre!

Quand j'ai appelé l'attention de la Chambre précédente, lors du conflit franco-turc, sur les créances Lorando et Tubini, j'ai montré ce qu'il y avait de peu intéressant pour le commerce francais lui-même dans les revendications que le Gouvernement se glorifiait de soutenir.

M. Raiberti nous disait qu'il ne fallait pas abandonner les producteurs français qui ont des intérêts à l'étranger. C'est très juste, à condition qu'il s'agisse vraiment des producteurs français.

Mais je rappelle à la Chambre que, lorsqu'un protégé ou un sujet français achète le tiers d'une créance, dont les deux autres tiers demeurent

propriété d'un sujet turc et conservent par suite un caractère purement ottoman, si bien que le drapeau tricolore flotte uniquement sur un tiers de la créance dont un sujet français n'est titulaire que par l'effet de cette opération qui s'appelle un achat de créance, tandis que le croissant seul continue à se dresser sur le reste, il n'y a pas grand'chose là dedans pour intéresser vraiment la production et le commerce français.

Or, voilà que nous apprenons maintenant qu'à cette affaire il y avait d'inavouables dessous. Certes, nous les avions bien soupçonnés; nous savions bien, au moment de l'affaire de Mitylène et des créances Lorando et Tubini, qu'on avait dû dépenser de l'argent pour travailler l'opinion publique. Mais maintenant voici que ces gens-là portent leurs revendications devant les tribunaux et un M. Courmes vient déclarer qu'il lui faut un million et demi pour avoir fait marcher la France, pour avoir appuyé l'envoi des cuirassés !

« C'est moi, s'écrie-t-il, qui ai préparé cela ! Si vous avez touché, c'est grâce à mes efforts, à mes dépenses ! J'ai été partout, en Suisse, en Belgique; j'ai sorti mon argent; maintenant j'entends bien, non pas être remboursé, mais comme je suis devenu co-associé, je veux toucher, moi aussi, dans l'affaire Lorando et Tubini. La grandeur de la France devient désormais intéressée à ce que je sois payé !»

Voilà le langage qu'on a le droit de tenir devant les tribunaux français. Je comprends alors que M. l'avocat général Lombard réponde: « Vous seriez bien aimable d'aller dire cela à Constantinople ». Mais Courmes ne veut pas aller à Constantinople ». Pour qu'il allât dire à Constantinople: « Vous savez j'étais le directeur de nombreux journaux financiers, j'avais une action sur la presse française; vous, justice ottomane, faites-moi donc payer », il faudrait qu'il s'associât un nouveau Courmes qui lui dirait : «Je vais préparer en votre faveur la justice ottomane comme vous avez vous-même préparé l'opinion française ».

Voilà pourquoi ces débats sont un peu déplacés à la cour d'appel de Paris; mais ils sont singulièrement édifiants pour la Chambre, d'autant qu'il y a une contre-partie.

Les héritiers Tubini et Lorando protestent et ils allèguent que, s'ils ont fait marcher Courmes, c'est parce qu'on travaillait l'opinion d'un autre côté. « Si nous avons donné de l'argent, disent-ils, ce n'était pas pour le plaisir d'en donner, c'est parce que l'ambassade de Turquie versait ellemême des subventions et tâchait de préparer une opinion publique française favorable à la politique du sultan. »

La Chambre se trouve alors en face de trois fails principaux ou plutôt de trois ordres de faits sur lesquels il semble impossible que son attention ne se fixe pas.

Premier ordre de faits un traité est préparé et l'un des hommes qui ont concouru à la préparation de ce traité affirme avoir donné de l'argent pour faciliter ses négociations.

M. DELCASSÉ, ministre des affaires étrangères. - Veuillez me permettre

un mot.

J'ai tenu à rester tout à fait étranger à l'exposé que vous venez de présenter. Mais il s'agit en ce moment d'un membre d'un gouvernement étranger. J'ai le devoir de dire que dès que le gouvernement siamois a connu la nouvelle dont vous parlez et qui a été publiée dans je ne sais quel journal, il a fail protester officiellement avec indignation contre le soidisant compte que Phya Sri lui aurait soumis.

« ПретходнаНастави »